Pour éclairer le débat public sur la suspension d’UberPop en France, le Conseil national du numérique (CNNum) appelle les pouvoirs publics à engager rapidement une réflexion globale sur la régulation applicable aux nouveaux acteurs de l’économie collaborative.
Le Conseil souligne en premier lieu que le conflit qui oppose aujourd’hui les taxis à UberPop n’est pas un conflit isolé ni une spécificité française, mais le symptôme d’une dynamique beaucoup plus large de montée en puissance de l’économie collaborative à l’échelle mondiale. Selon l’étude “The Sharing Economy” par PwC, le marché mondial de l’économie collaborative devrait ainsi passer de 15 milliards d’euros en 2014 à 335 milliards d’ici 2025. De nombreux secteurs comme l’hôtellerie ou le e-commerce sont déjà concernés.
Dans le rapport “Ambition numérique” remis au Premier ministre le 18 juin dernier, le Conseil rappelle que le terme d’économie collaborative abrite différentes formes de transactions marchandes et non marchandes, qu’il est possible de différencier selon qu’elles concernent des biens ou des services, qu’elles dégagent ou non des bénéfices, qu’elles soient intermédiées ou non par une plateforme, etc. Le CNNum fait ainsi la distinction entre au moins deux effets extrêmes de cette économie collaborative. D’une part, elle peut être vecteur de renforcement du pouvoir d’agir économique des individus et d’innovation sociale. Elle participe en cela à la création de nouveaux services plébiscités par le public, et de sources de revenu dont peuvent bénéficier des personnes souvent discriminées sur le marché du travail. D’autre part, ces nouvelles activités peuvent s’inscrire
dans une logique d’atomisation de la société et de détricotage de la protection sociale.
Compte-tenu de la croissance rapide de l’économie collaborative, le Conseil appelle les pouvoirs publics à se saisir rapidement et de manière globale des nouveaux enjeux de régulation que soulèvent ces nouvelles activités en termes de protection sociale, droit des consommateurs, loyauté des acteurs économiques, droit de la concurrence, fiscalité, etc.
Le Conseil considère en effet qu’une réglementation sectorielle, adoptée dans l’urgence, est une réponse inefficace à long terme. De même, la multiplication des régimes d’interdiction ne semble pas une réponse satisfaisante et aurait des conséquences négatives sur l’attractivité et le dynamisme de notre tissu entrepreneurial. L’enjeu est donc moins d’interdire UberPop aujourd’hui, que d’encadrer les nouveaux modèles de l’économie collaborative en responsabilisant les acteurs économiques et
en adaptant le droit du travail pour assurer la protection de tous. Le conflit Uber/taxis nous exhorte en effet à revisiter le droit commun, à ré-interroger son bien-fondé et éventuellement à l’adapter aux nouveaux paradigmes induits par la révolution numérique. La décision d’un tribunal californien3 de requalifier l’activité d’une conductrice d’UberPop pour lui donner un statut de salariée est à ce titre un exemple.
Dans le rapport Ambition numérique, le Conseil propose de s’appuyer sur des critères objectifs (chiffre d’affaire réalisé, tarification de la prestation supérieure à la valeur d’usage, etc.) pour requalifier la vente de biens, la location ou l’offre de services à la demande entre particuliers lorsqu’elles sortent du cadre amateur afin de faire appliquer les droits et obligations qui sont attachés au statut professionnel. Par exemple, pour la vente d’objets entre pairs, la plateforme eBay qualifie les activités de ses usagers en fonction de la régularité des ventes effectuées, ainsi que du chiffre d’affaires réalisé sur son site. De la même manière, certaines prestations de “service à la demande” à titre onéreux entre pairs tels qu’UberPop devraient être reconnues comme dépassant le cadre strictement amateur. Dans le secteur de l’hébergement, le couchsurfing qui consiste pour un particulier à accueillir gracieusement un voyageur chez lui sur son canapé est bien loin du modèle
d’AirBnB. Ces différences devraient être prises en compte de manière plus précise pour adapter la régulation à chaque situation.
De nouvelles réflexions seront prochainement ouvertes au sein du CNNUm sur l’adaptation du droit du travail à la situation de ces “nouveaux” professionnels. Plusieurs pistes sont évoquées comme une meilleure reconnaissance des statuts d’“entrepreneurs-salariés” (portage salarial ou les coopératives d’activité et d’emploi) ou encore le développement des droits sociaux pour les travailleurs non-salariés (droit au recours collectif, à la représentation syndicale, ou au droit de grève). Ces enjeux font l’objet d’une saisine officielle de François REBSAMEN, Ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, à qui le CNNum remettra ses recommandations d’ici fin 2015.