Malgré le mantra actuel décliné sous toutes ses formes, excepté peut-être au moment du salon du livre de Paris, il y a encore des passionnés qui créent des librairies indépendantes en France. Valérie Marragou et son associée Corinne Dacla ont ouvert une librairie spécialisée jeunesse à Paris en 2009, Les Enfants sur le toit “tout le monde nous incitait à ne pas nous lancer, mais nous l’avons fait tout de même !“.
Valérie était alors salariée dans le secteur des ressources humaines, mais souhaitait avoir son propre projet, une librairie donc, “tout en sachant que cela pouvait ne pas marcher“, ce qui l’a conduit à conserver une activité free lance en entreprise en parallèle. “Je passais toujours une à deux journées par semaine en mission“, c’était au départ “une vraie volonté d’avoir un back up financier“, mais “j’ai toujours été très active et j’ai une grande capacité de travail“. Une multiactivités “aujourd’hui revendiquée et assumée“, car c’est “une vraie source d’épanouissement“.
Le constat de Valérie sur la multipotentialité ou “slasheurs”, en terme plus tendance, révèle ce que beaucoup partage “en France, on a l’habitude de mettre les gens dans des cases et du mal à réfléchir en multicompétences“, surtout dans le monde de l’entreprise, où chacun doit rester à sa place. “La création de la librairie a été assez atypique dans mon parcours d’accompagnement RH” ajoute Valérie, mais “j’avais une réelle volonté de passer par l’étape de la création d’entreprise“. Une volonté d’entreprendre inscrite dans son ADN, pour celle qui aime “gérer des projets de A à Z“.
En France, on a l’habitude de mettre les gens dans des cases et du mal à réfléchir en multicompétences
Pourquoi la librairie, en pleine crise économique mondiale et véritable mutation sociétale, où parait-il les gens ne lisent plus de livres ? “A l’époque je passais beaucoup de temps dans les librairies jeunesse pour mes enfants“, et puis “entreprendre c’est finalement une histoire de rencontre, on évolue, des briques se mettent en place“. Valérie se renseigne beaucoup auprès d’autres libraires pour en savoir plus sur le métier, et puis un jour “j’ai décidé d’arrêter d’en parler et j’ai sauté le pas“. Elle se forme alors à la création d’entreprise et c’est au cours d’un atelier qu’elle rencontre celle qui va devenir son associée dans le projet “en trois mois, on a réalisé que c’était une évidence de travailler ensemble“. Tout ne fut pas rose évidemment “quand on se lance, les gens tentent de nous décourager, il faut donc avoir la petite étincelle de folie qui vouS permet de vous jeter dan le vide !”
Aujourd’hui la librairie réalise 250 000€HT de CA et permet de dégager un salaire pour une des associées. “6 ans plus tard nous sommes toujours là, nous en avons vu beaucoup ouvrir et fermer, les comptes sont toujours fragiles mais sains et nous n’avons aucune dette“. Après 3 ans passés à développer le projet, Valérie est passée d’un temps plein en boutique à un temps partiel, pour se consacrer à ses missions freelance en ressources humaines “c’est un milieu qui bouge énormément en ce moment, c’est passionnant !” et des cours qu’elle donne en école de commerce et classes prépas à Lyon où elle vit avec sa famille – qui a toujours accepté ses aller-retour entre la ville lumière et la capitale ces dernières années. “La librairie, c’est un métier passion, on ne le fait pas pour devenir riche“. Et puis il y a aussi la surface de vente qui compte, “en dessous de 150m², on a du mal à en vivre correctement“. Il faut aussi se positionner sur une niche, car Amazon est tout de même un ogre qu’on ne peut concurrencer, que ce soit en boutique ou sur le net. La librairie propose d’ailleurs de nombreux jeux de société, qui comptent pour 40% du CA.
La librairie, c’est un métier passion, on ne le fait pas pour devenir riche
Aujourd’hui, Valérie se rend une semaine par mois dans la librairie “ce projet n’aurait pas pu voir le jour si j’avais été seule“, mais “j’ai un seul regret, une “erreur” que mon associée et moi avons fait : voir trop petit – c’était la première fois pour toutes les deux, nous n’avons pas “osé” alors qu’il fallait voir gros tout de suite … la prochaine fois je ferai gros !“. Pour le moment Valérie n’envisage pas d’arrêter toutes ses activités “sauf si je sens que la librairie a besoin de quelqu’un d’autre pour se développer“. Elle a beau avoir plusieurs activités, Valérie ne se considère pas pour autant instable “il y a un véritable fil rouge entre toutes mes activités, tout est lié” et cela ne lui a jamais causé de soucis, ni personnels, ni en famille, à laquelle elle a toujours pu consacrer autant de temps que ses enfants en avaient besoin, grâce à une bonne organisation “si j’avais fait 6h de sport par semaine, le souci aurait été le même” explique t-elle, ajoutant “je n’ai pas le sentiment d’avoir du renoncer à quelque chose“. D’ailleurs Valérie ne se trouve pas hyperactive, car “je peux me poser à rien faire sans problème, je n’ai pas toujours besoin d’être dans l’action”.
Si j’avais fait 6h de sport par semaine, le souci aurait été le même
Valérie n’a jamais lutté contre cette multiactivité “je refuse de m’excuser d’avoir un parcours atypique !“, “il faut juste savoir raconter une histoire autour de son parcours pour rassurer les gens“, finalement. D’ailleurs selon elle, “l’avenir est à la multipotentialité, cela nous nourrit, c’est enthousiasment“. Alors que les entreprises tendent à placer les salariés à un poste précis entrainant un mal-être au travail, un ennui ou un trop plein “je vois tellement de cadres autour de moi en burn out, car ils sont trop stressés, ont trop de pression et pas d’échappatoire, alors qu’ils auraient besoin de switcher d’une activité à l’autre pour retrouver leur dynamisme et gagner une stabilité morale“. Même si tout le monde n’a pas forcément envie d’avoirs plusieurs activités …