En France, les freelances représentent 10% de la population active d’après l’Insee et aux États-Unis, la proportion dépasse déjà le seuil des 30%. Ronan Pelloux, cofondateur de Creads, une plateforme réunissant 50 000 créatifs freelances, et sherpa du G20 des Entrepreneurs qui s’est tenu à Istanbul en septembre, revient avec nous sur cette mutation sociétale qui fait tant couler d’encre : le salariat est-il mort ?
On parle de nouveauté, de mutation sociétale quand on évoque cette vague de free lance, pourtant le salariat massif et protecteur est récent. Alors est-ce vraiment une avancée de la société -plus de sens, de liberté, etc…- comme on entend dire ici et là ou un retour en arrière ?
L’émergence des free lance est très récente et rapide. En 2008, lorsque nous avons lancé Creads avec mon associé Julien Mechin, nous avions seulement une centaine de designers freelances inscrits. En à peine 1 an nous avons atteint les 10 000 inscrits et aujourd’hui nous avons plus de 50 000 travailleurs indépendants qui viennent chercher des missions ponctuelles sur notre plateforme. C’est une évolution considérable, d’autant plus que notre développement s’est fait uniquement grâce au bouche-à-oreille. Cela prouve qu’il existe une demande forte et un besoin de sortir du salariat traditionnel.
Cette évolution du marché de l’emploi – favorisée par la création du statut auto-entrepreneur en 2009 – constitue un véritable challenge pour nous tous, travailleurs comme chefs d’entreprise, puisqu’elle encourage chacun à sortir de ses habitudes pour innover. Ce statut prône certes de nouvelles valeurs liées à la liberté, mais il reste encore très fragile. Aujourd’hui, il s’agit d’un changement. Demain, il s’agira d’une avancée. Et c’est à nous, entrepreneurs de l’économie collaborative, de le prouver.
Le statut free lance prône certes de nouvelles valeurs liées à la liberté, mais il reste encore très fragile
Les free lance sont ils vraiment libres aujourd’hui ? Où se situe la protection des travailleurs ? N’y a t-il pas un risque de précarisation de l’emploi et de dérive des grands groupes ?
Je crois que pour rester concurrentiel, il faut faire des choix. Tant que l’offre rencontre la demande il n’y a pas de risque de précarisation à condition bien sûr que chacun y trouve son compte. L’économie de plateforme est en train de remettre en cause notre façon de penser. En ce qui nous concerne, au cours des années, Creads n’a cessé de s’adapter afin d’apporter un service de qualité en phase avec les besoins du marché. A titre d’exemple, nous avons créé des CGV qui visent à protéger nos graphistes mais aussi les commanditaires peu habitués à faire appel à des indépendants.
Ce qui est certain, c’est que les indépendants sont libres de choisir les prestataires avec lesquels ils souhaitent s’associer. Ils sont libres de faire ou de ne pas faire. Si un site ne correspond pas à leurs critères, ils n’hésitent pas à s’inscrire sur d’autres plateformes ce qui est, par exemple, le cas avec les chauffeurs de VTC qui peuvent indifféremment travailler pour Uber ou Chauffeur-Privé. Ils privilégient l’une ou l’autre entreprise en fonction de leur intérêt pour une course à l’instant T. Tout l’enjeu pour ses plateformes, comme pour Creads, est donc de savoir écouter les besoins et d’innover sans cesse pour proposer un cadre de travail réglementé. Notre communauté sait très bien s’auto-réguler et faire en sorte que les règles soient respectées. C’est une très grande force.
L’économie de plateforme est en train de remettre en cause notre façon de penser
La nouvelle économie est en train de changer le modèle social et redistribuer les cartes du traditionnel patron/salarié au profit d’une version demandeur de service/indépendant fournisseur du service. Est-ce un phénomène durable selon vous ? Une réaction nécessaire face au chômage durable ? Une véritable envie de changer ce modèle social hérité de 1945 ?
En 2008, se mettre à son compte était parfois une réaction nécessaire face au chômage. En 2009 est apparu le statut d’autoentrepreneur. Ce statut a permis à de nombreuses personnes de tenter l’aventure entrepreneuriale avec un minimum de risques. Il faut réellement voir cela comme une avancée pour instaurer une culture entrepreneuriale forte. A mon avis, si nous aidons les entreprises à trouver les bonnes compétences au moment où elles en ont besoin, nous serons en mesure d’augmenter considérablement la création de valeur et nous éviterons les pertes de temps et la prise de risque. Plus les entreprises seront à même de répondre aux attentes du marché, plus de besoins se créeront. En fait, nous sommes avant tout des facilitateurs et des prestataires de services. Nous devons donner du sens à nos actions.
Le statut d’auto-entrepreneur a permis à de nombreuses personnes de tenter l’aventure entrepreneuriale avec un minimum de risques
L’État devrait-il intervenir pour sécuriser le phénomène, comme il a commencé à le faire oubien la société civile l’imposera d’elle-même dans une notion de rapport plus juste non patriarcal ? Les syndicats joueront quel rôle dans ce bouleversement ?
Je participe depuis 3 ans au G20 des Entrepreneurs et notre rôle est justement d’apporter des recommandations au gouvernement pour développer la culture entrepreneuriale. Je pense que l’État et les entreprises ont un rôle complémentaire à jouer. Le gouvernement est d’ailleurs en train d’initier des mesures qui devraient permettre de soutenir l’économie et de valoriser le statut d’indépendant, enjeu qui est d’ailleurs actuellement abordé par les politiques, notamment par Nathalie Kosciusko-Morizet.
Les entrepreneurs pourront par ailleurs avoir un rôle structurel à jouer pour accueillir les travailleurs indépendants et intégrer ces nouvelles ressources dans leur business model. En dialoguant au quotidien avec les freelances de notre communauté, nous sommes conscients qu’il existe un besoin d’échange et de plus grande reconnaissance de leur statut qui est encore vu comme un statut précaire. Pour autant, d’après l’Étude Nationale sur l’Économie du Design, ⅔ des designers freelances le sont dans un souci d’indépendance. Est-ce donc nécessaire d’ajouter des lourdeurs de fonctionnement là où la volonté est justement la liberté et l’indépendance. Les freelances ont encore du mal à se rassembler et à s’organiser, mais pour défendre leurs droits, ils devront aussi passer par là.
Il existe un besoin d’échange et de plus grande reconnaissance de leur statut qui est encore vu comme un statut précaire
Quelles seraient vos 3 suggestions si réforme il y avait pour rendre moins précaire le statut de freelance aujourd’hui ?
Aujourd’hui, les travailleurs indépendants répondent aux mêmes exigences que les entrepreneurs avec les avantages et les inconvénients que ce statut incombe. Ainsi, au même titre que les entrepreneurs, être freelance correspond à un choix d’indépendance et de prise de risque. Néanmoins, existe-il des aides en soutien aux entrepreneurs pour rendre leur prise de risque moins précaire ? Finalement, n’est-ce pas le rôle du freelance ou de l’entrepreneur de provisionner ses revenus pour les périodes moins lucratives ?
Au même titre que les entrepreneurs, être freelance correspond à un choix d’indépendance et de prise de risque