L’entrepreneuriat est toujours tendance, malgré les aléas liés à la crise sanitaire et économique qui touche notre pays cette année. De plus en plus de salariés ayant perdu le sens de leur job souhaitent devenir leur propre patron et travailler dans un domaine qui leur plait, à leur rythme et plus souvent tourné vers les autres. Mais voilà devenir entrepreneur ne s’improvise pas qu’on ait des qualités de leader, une chouette idée de business ou de l’argent de côté. C’est un long chemin à la fois professionnel et personnel sur lequel il est important de poser des fondements solides. C’est sur ce constat que Marjorie Lombard et Magali Perruchini, spécialistes de la reconversion professionnelle, ont écrit un livre destiné à toutes celles et ceux qui souhaitent franchir ce cap : 180°, Reconversion, Réussir le virage de l’entrepreneuriat. Un véritable guide qui permet de se poser les bonnes questions grâce à de nombreux exercices pratiques, ainsi que des témoignages d’experts et entrepreneurs reconvertis.
Pouvez-vous vous présentez en quelques lignes, et parler de votre parcours entrepreneurial ?
Marjorie : Je suis la fondatrice de Dessine-moi une Carrière, experte en reconversion professionnelle et entrepreneuriat des femmes. J’ai eu plusieurs bifurcations professionnelles dans mon parcours.
Déjà à l’Université, j’ai arrêté mes études de pharmacie après avoir obtenu le concours pour étudier l’histoire de l’art et la communication culturelle. J’ai ensuite travaillé comme journaliste puis agent de photographes.
L’année de mes 30 ans j’ai tout remis en question. J’étais une pionnière à l’époque ! On ne parlait pas du bore-out, du brown-out et autres. J’ai décidé de reprendre mes études à l’Université pour pouvoir accompagner les personnes à trouver leur voie professionnelle.
J’ai créé ma société en 2013, puis créé une méthode d’accompagnement spécifique, centrée sur la recherche de sens et de vocation. Avec l’expérience, j’ai accompagné des entrepreneurs qui voulaient que je les aide à développer leur activité en restant aligné à leurs valeurs, tout en leur permettant de la rendre rentable.
Aujourd’hui, j’accompagne essentiellement des femmes entrepreneures et dirigeantes dans le développement de leur activité, de leur leadership et de leur posture.
Ma société connaît une croissance régulière chaque année (même durant l’épisode Covid) et j’ai mis en place une équipe de coachs pour me seconder.
Magali : J’ai travaillé plusieurs années en tant que chef de projet dans des agences de communication avant de tout quitter et de choisir de me faire accompagner par Marjorie. Cet accompagnement m’a donné l’impulsion pour lancer un blog, « Les mains baladeuses », grâce auquel je pars à la rencontre d’une nouvelle génération d’artisans entrepreneurs reconvertis. J’ai co-organisé aux côtés de Lucile Grémion un tour de France en 4L d’un mois à la rencontre de 12 artisans puis entrepris la rédaction d’un livre « Nouveaux Artisans, portraits d’une génération qui bouscule les codes » (Editions Eyrolles) sorti il y a deux ans. Je ne suis pour ma part pas entrepreneuse. Je cumule trois statuts : celui de salarié, de micro-entrepreneur et d’auteur. Mais j’entreprends de donner vie à ce que j’aime : rencontrer des gens inspirants et raconter leur histoire.
Comment est venue l’idée du sujet de ce livre ?
Marjorie : Ayant toujours aimé transmettre, j’ai d’abord écrit Dessine-toi une Carrière – 5 étapes pour Trouver sa voie (Dunod, 2019) qui traite de la recherche de vocation professionnelle. En le terminant, j’ai su qu’il y en aurait d’autres. Je connaissais Magali pour l’avoir accompagnée dans sa reconversion. Le feeling était très bien passé. Depuis la fin de l’accompagnement, on se retrouvait régulièrement pour boire des verres et partager nos actualités. Comme elle avait aussi publié un livre, on avait toutes les deux envie de recommencer et de tenter l’expérience à deux.
L’idée est venue autour d’un de nos fameux drinks !
Magali : Marjorie et moi avons pour point commun la thématique de la reconversion. Il était donc évident que le sujet de notre livre traiterait de ce sujet. Il n’existait pas à notre connaissance d’ouvrages spécifiques sur la reconversion dans l’entrepreneuriat. Nous avions envie de combler ce vide. Nous avons imaginé un livre à la fois didactique – composé de chapitres qui se terminent par des paroles d’experts et une série d’exercices – et inspirant en donnant la parole à des entrepreneurs reconvertis qui racontent en toute transparence les étapes, les difficultés et les succès qui jalonnent leurs parcours d’entrepreneurs.
Selon vous, l’entrepreneuriat est-il toujours aussi tendance qu’il y a quelques années (notamment lors de la vague startup) ? Fait-il toujours autant rêver ?
Marjorie : Il faudrait définir le terme tendance. De fait, l’entrepreneuriat est dans l’air du temps, il suffit de regarder le nombre d’entreprises qui se créent chaque année et de constater la diminution régulière d’offres d’emploi en CDI. Nous sommes à une période charnière de mutation du travail.
La loi de modernisation de l’économie de 2008 y a certainement participé. En créant le nouveau statut de l’auto-entreprise (devenue aujourd’hui micro-entreprise), elle a suscité des envies de création de la part de personnes qui n’auraient pas tenté sans cette facilité qu’a permis le dispositif. C’est notamment mon cas car personne dans ma famille n’était entrepreneur. J’avais toujours entendu qu’il était difficile de créer une entreprise.
Mais si on parle de tendance en tant que mode, ce n’est pas ma vision. Une mode se démode, par essence. Je ne crois pas que ce soit le cas pour l’entrepreneuriat. La mode a aussi un côté glamour. Même si certains ont un discours promettant la semaine de 4 heures ou l’entrepreneuriat comme accès à une vie du rêve, ça ne correspond pas à la majorité des entrepreneurs.
Enfin, le monde des start-ups est un monde à part. Je ne superpose pas entreprenariat et start-up. Cette dernière est une portion mineure et non-représentative de l’entreprenariat en général. Magali : Nous ne sommes culturellement pas un peuple d’entrepreneurs, contrairement par exemple à nos amis anglo-saxons. Mais nous constatons depuis plusieurs années en effet que l’entrepreneuriat s’est démocratisé et qu’il séduit de plus en plus. 1 Français sur 3, soit 29%, envisage de créer ou reprendre une entreprise, soit près de 15 millions d’entrepreneurs potentiels, parmi eux plus de la moitié (54%) envisagent se lancer dans les deux ans (Sondage OpinionWay).
La montée de l’entrepreneuriat est le résultat de plusieurs phénomènes : un monde du travail anxiogène et compétitif, des missions de plus en plus segmentées, un statut de cadre dévalorisé, dont l’effet pervers se traduit par les symptômes du burn-out, bore-out ou encore brown-out ; un marché tendu de plus en plus précaire et incertain ; et l’exhortation à la réalisation de soi qui passe notamment par le travail conduisent les jeunes – et moins jeunes – générations à entreprendre.
Nous sommes à une période charnière de mutation du travail
La reconversion fait couler beaucoup d’encre depuis quelques années, avec de belles histoires qui font rêver celles et ceux qui voudraient changer de voie professionnelle. Comment voyez-vous ce phénomène avec votre oeil d’expert ? Est-ce une mode, un phénomène durable ?
Marjorie : La reconversion est indéniablement une tendance de fond. Ce n’était pas le cas lorsque j’ai démarré. En 2013, nous n’étions qu’une poignée de professionnels à en parler explicitement et à l’accompagner. Aujourd’hui en 2020, une personne en reconversion n’est plus considérée comme un cas atypique. On sait que les carrières linéaires sont derrière.
C’est normal de se poser des questions et vouloir changer. La reconversion est devenue une étape courante dans une carrière, contrainte ou forcée. Par exemple selon une étude du ministère du Travail parue en 2018, près d’un quart des personnes en emploi a quitté leur profession pour une autre, entre 2010 et 2015. Ce n’est pas rien.
Rdv dans 30 ans pour voir comment aura évolué le marché du travail et la place qu’y occupe la reconversion.
Magali : Il y a une dizaine d’années le phénomène de reconversion était un épiphénomène et les candidats à la reconversion perçus comme de doux dingues ou de grands courageux. Pour toutes les raisons exprimées plus haut, on peut gager que la reconversion sera obligatoirement la norme dans toute vie de travailleur.
Aujourd’hui en 2020, une personne en reconversion n’est plus considérée comme un cas atypique. On sait que les carrières linéaires sont derrière nous
Y a t’il aujourd’hui une barrière vie pro/vie perso qui tend à s’effacer, le bonheur personnel n’allant plus l’un sans l’autre comme cela a pu être le cas pour les anciennes générations ?
Marjorie : La société actuelle favorise l’individualité et le développement de soi. Il y a aussi les différentes crises économiques depuis les années 80 avec peu de périodes de croissance. La génération actuelle de salariés a donc connu le chômage soit directement, soit leurs parents. S’il est si difficile de trouver du travail et qu’en plus, on n’y est pas toujours bien traité, à quoi bon ?
Cette génération parfois désenchantée veut donc se réaliser dans toutes les sphères de leur vie, y compris au travail.
Voyez-vous un profil type ou un portrait type du “reconverti” qui s’écrit ? Ou bien ce phénomène touche tous les travailleurs, quelque soit leur diplôme, poste, niveau social…
Marjorie : Tout le monde se reconvertit. Homme, femme, cadre, employé ou ouvrier. Aujourd’hui ma clientèle en reconversion est majoritairement composée de cadres ou de professions libérales. Mais pour avoir auparavant travaillé dans d’autres cabinets et en insertion professionnelle, j’ai pu voir la diversité des possibilités de reconversion. Et tant mieux !
Magali : En ce qui concerne la reconversion dans les métiers de l’artisanat – qui séduit un certains nombres de candidats à la reconversion et qui est le domaine que je connais le mieux -, il apparaît qu’il s’agit plutôt d’un phénomène urbain qui touche des populations éduquées avec un solide bagage culturel. Il faut aussi dissocier les reconversions choisies des reconversions contraintes… Globalement, la classe moyenne ou moyenne supérieure est une bonne candidate à la reconversion. Par ailleurs, les jeunes sont très attirés par l’idée d’entreprendre : 46% des 18-34 ans ont envie d’entreprendre. (Source : OpinionWay, Janvier 2018)
La classe moyenne ou moyenne supérieure est une bonne candidate à la reconversion
L’entrepreneuriat est-il à la portée de tous selon vos expériences d’accompagnement ?
Marjorie : De même qu’il n’y a pas de profil-type pour se reconvertir, il n’y en a pas pour entreprendre. En revanche, il y a des qualités, des façons d’être et de se comporter ainsi que des compétences qui favorisent la réussite du projet entrepreneurial. Nous avons d’ailleurs réservé tout un chapitre dans le livre car l’adéquation personne-projet est fondamentale pour le succès de l’activité.
Si on ne possède pas ces qualités de façon innée, il est possible de les acquérir en se formant ou en se faisant accompagner, ou bien de déléguer ou de s’associer pour en disposer.
Magali : Savoir défendre un projet, trouver des financements, fédérer une équipe, créer et entretenir un réseau, résister aux échecs… être entrepreneur, c’est comme être chirurgien ou enseignant, cela demande des qualités intrinsèques, car « entrepreneur » est un métier en soi. Comme nous le disons dans le livre, peut-être que certains lecteurs s’apercevront qu’ils ne sont pas faits pour l’entrepreneuriat. Et cette prise de conscience est une bonne nouvelle !
La crise sanitaire actuelle et le confinement ont t’ils donné un élan à cette envie de se reconvertir dans autre chose, voyez-vous une hausse de la demande en accompagnement ?
Marjorie : J’ai effectivement observé une hausse des demandes d’accompagnement pour se reconvertir. Pour l’entrepreneuriat, je n’ai pas observé de hausse ni de baisse des demandes. C’est stable de mon côté.
Même si le nombre de créations d’entreprise a diminué de moitié durant le confinement, il y a eu un fort rebond durant le mois de juin. Je n’ai pas peur pour l’avenir de l’entrepreneuriat. Les périodes de crise comme nous l’avons vécue permettent de réorganiser l’existant et contiennent toujours des opportunités.
Magali : « Après le confinement, l’essor des reconversions professionnelles », « Après le confinement, ils ont décidé de se reconvertir », « Confinement / reconversion : avez-vous déjà pensé à changer de vie ? », « Et si le confinement faisait naître des envies de reconversion ? ». Nombreux sont les médias qui ont consacré des articles sur la conséquence du confinement et notre rapport au travail. Le confinement a été un révélateur pour certains, un catalyseur pour d’autres. Après la phase de prise de conscience puis de réflexion, celle de concrétisation aura probablement lieu à court ou moyen terme.
Quels sont les secteurs porteurs de la reconversion entrepreneuriale ?
Il y a effectivement des secteurs porteurs à ne pas confondre avec les effets de mode. Il y a quelques années, la mode était à la création de chambres d’hôtes. Aujourd’hui, on observe un engouement pour les secteurs du bien-être et du coaching.
Je ne suis pas sûre que ce soient les plus porteurs financièrement. Ce qu’on sait en 2020 c’est que les secteurs du green business, du bio, du Made in France, la deep tech, la silver économie ou l’économie sociale et solidaire ont le vent en poupe.
Aujourd’hui, on observe un engouement pour les secteurs du bien-être et du coaching
L’artisanat semble en faire rêver plus d’un alors qu’en première intention il est plutôt boudé par les lycéens. Comment expliquez-vous cela ?
Magali : La faute à Platon ! Selon le mythe de la création de l’homme raconté par le philosophe, les arts « manuels » ne sont que des arts de « survie ». Depuis l’Antiquité, la dichotomie entre travail manuel et intellectuel perdure, soutenue par la place de « l’esprit » dans notre culture française. En Allemagne par exemple, les métiers manuels sont davantage valorisés. L’imaginaire péjoratif lié au manuel est bien ancré. Dès l’enfance, on nous catégorise. On dira de certains qu’ils sont des « manuels » alors que d’autres sont des « intellectuels ». Or, il suffit d’observer des artisans au travail pour constater qu’il faut une « tête bien faite » pour être artisan car il est sans cesse soumis à des problématiques qu’il lui faut résoudre. Cette nouvelle génération de « cols blancs » qui se reconvertit dans les métiers manuels, si elle ne représente qu’une niche, a bénéficié d’une large couverture médiatique et vend aujourd’hui « du rêve », a un fort pouvoir de prescription et change petit à petit l’image poussiéreuse et discréditée de l’artisanat.
Et si on rate sa reconversion, on fait quoi ? 🙂
Marjorie : Sérieusement, il est impossible de rater sa reconversion ! On parle évidemment de l’échec dans le livre. Tout ne réussit pas du premier coup et toutes les idées ne sont pas les bonnes. Mais soit on réussit, soit on apprend et on pivote pour trouver le nouveau projet qui convient. Il y a toujours une solution pour rebondir quand on fait preuve d’agilité.
Magali : Comme dirait Isabelle Saladin, présidente des Rebondisseurs français et serial entrepreneuse, après un échec, on rebondit ! Il faut nécessairement passer par une phase d’analyse de l’échec. Est-ce que je suis fait pour l’entrepreneuriat ? Qu’est-ce qui a marché ? Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Qu’est-ce que je sais faire ? Qu’est-ce que je ne veux pas faire ?… Certains entrepreneurs qui témoignent dans le livre, à l’image de Julien Sylvain de Tediber ou Julien Lamotte de Shelter, nous offrent de beaux témoignages sur la notion d’échec et de belles leçons d’entrepreneuriat et de vie…
Mais soit on réussit, soit on apprend et on pivote pour trouver le nouveau projet qui convient