Depuis quelques temps, à peu près un an, il semble que le regard de la société sur le monde du travail ait changé : en effet autant il y a quelques années, lorsqu’on disait qu’on changeait de métier (imaginez, passer d’un doctorat de pharmacien à la confection de coffrets cadeaux et l’organisation de soirées entrepreneurs, comment mon switch a été accueilli en 2008/2009…), on nous regardait avec des yeux ronds, on nous jugeait, on nous prenait pour des instables, des paumés, on riait sous cape en disant “c’est une passade, elle y reviendra, elle n’a pas fait 6 ans d’études pour faire des colis…”, voir on coupait tout contact avec nous en attendant qu’on revienne dans le droit chemin.
Je ne vous cache pas que 9 ans plus tard, certains espèrent encore que je revienne à la pharmacie, un métier noble, utile, intellectuel, qui en jette, mais je reçois de plus en plus de remarques telles que “whaouh, vous avez fait tout cela dans votre vie !”. Le tout en autodidacte, il y a 8 ans je ne savait même pas taper sur Word… Au départ je pensais que c’était juste de la curiosité ou de l’amusement leur donnant la sensation d’avoir rencontré une extra-terrestre un peu fofolle dont ils allaient pouvoir alimenter leur prochain dîner. Cela me minait vraiment, je me sentais à côté de la plaque, je rêvais moi aussi, de n’avoir fait qu’une seule chose dans ma vie, mais avec grand succès, du genre où on fait plusieurs millions d’euros de CA, où on est invité dans des conférences ou sur BFM pour raconter son brillant parcours, où on a des salariés et on peut se plaindre de l’URSSAF et des Prud’hommes, où on peut donner comme excuse “je peux pas je travaille”, à tout bout de champ, etc… J’avais (presque) honte de mes petites entreprises qui ne décollaient pas par rapport aux success stories partagées dans les médias et les events, je m’en cachais, je me trouvais nulle, et même pas faite pour être chef d’entreprise et gagner ma vie par moi-même.
J’ai essayé pendant des années de rentrer dans ce moule du parfait petit entrepreneur, qui se tient à son projet, se donne à fond, prend tous les risques, ne se disperse pas, ne dévie pas de trajectoire et essaie de garder un temps d’avance sur ses concurrents. Sauf que je n’ai jamais réussi (sauf à me sentir encore plus mal…), il y avait toujours une idée, un projet, une proposition, un site à reprendre, qui me faisait dévier de ma ligne de conduite malgré tout. Je me disais “c’est pour cela que je n’arrive à rien”, les autres font des CA mirobolants, ont des locaux de folie, font parler d’eux dans les médias, lèvent des fonds, partent dans le Silicon Valley, etc… Et pas moi. J’étais jalouse, il faut l’avouer, car pourquoi moi je n’y arrivais pas au bout de ma 2ème ou 3ème entreprise, malgré tout le travail accompli ? Pourquoi je restais toujours à ramer, à chercher autre chose qui me ferait réussir comme les autres, à attendre de trouver LA bonne idée ? Bref à être quelqu’un d’autre.
Et puis un jour j’ai réalisé que ce n’était pas moi et pas ce que je voulais (évidemment si j’explose mon CA je ne dirais pas non, on ne va pas se mentir). Que je n’étais pas prête à consacrer 100% de ma vie à mon entreprise. Ma vie c’est entreprendre, sous toutes ses formes, mais ce n’est pas mon entreprise, donc forcément elle ne pourra jamais exploser. Je n’y consacre pas assez de temps et d’énergie, car je ne veux pas abandonner toutes mes autres activités : sport, bénévolat, cinéma, restaurants, théâtre, Opéra, lecture… Rien de folie, mais c’est au moins plusieurs heures par jour qui y sont consacrées au détriment de mes sites. Peut-être allez-vous hurler que je dise “au détriment” mais c’est la vérité : j’ai interviewé des dizaines si ce n’est plus, d’entrepreneurs et je vous assure que ceux qui affichent de belles réussites y ont tout sacrifié ou presque. Jamais je n’aurais pu faire cela.
Alors voilà, je ne sais plus trop quand et comment cela s’est produit, peut-être l’année dernière après les attentats de novembre 2015 où je me suis retrouvée sans rien à faire (enfin j’ai écrit un livre pendant ce temps), ce qui m’a donné le temps de savoir ce que je voulais et surtout ce que j’étais capable de faire pour réussir ma vie (ce fut très dur à vivre, il ne faut pas se voiler la face…). Ma motivation première c’est la LIBERTÉ, et elle le sera toujours quoiqu’il arrive dans le monde et dans ma vie, je ne transigerai jamais là dessus, ni pour de l’argent, du pouvoir, de la notoriété ou de la reconnaissance. Ce qui bien évidemment m’handicape grandement pour réussir comme notre société l’entend : argent, statut, reconnaissance, invitations dans les hautes sphères, mari, enfants, maison, voyages, maison de retraite et pierre tombale de luxe.
Certains pourront penser que j’agis par dépit faute d’arriver à ce que je voulais “avant” et que je me contente de ce que je réussi à faire. Mais il y en a de moins en moins qui pensent ainsi depuis quelques temps. La recherche de son identité profonde, du sens à donner à sa vie, d’un job épanouissant, d’une vie créée sur mesure pour nous et pas pour la société a fait son chemin et semble convaincre de plus en plus de monde. Il faudra encore certainement du temps pour que papillonner d’un job à un autre ne soit plus vu comme une forme d’instabilité mais comme une force. Une force qui permettra à chacun d’être celui qu’il veut être, qui qu’il soit, et d’où qu’il vienne, libéré du poids de la société, la famille, la culture ou la religion. Cela prend du temps de se défaire de tout cela, c’est dur à vivre, on est très seul, incompris et parfois mis sur la touche, mais parions que la jeune génération y arrivera mieux que nous, grâce à nos témoignages, nos actions, et leur envie de faire bouger les lignes pour ne plus accepter que les autres décident pour eux.