Depuis quelques temps il y a une certaine injonction à vivre de sa passion. Pas vivre sa passion, mais bien faire de sa passion son job. Ceux qui ne le font pas seraient voués à effectuer un travail vide de sens, inintéressant et servant seulement à ramener un salaire en fin de mois pour payer toutes les factures. Un concept d’une part très réducteur, car qui vit vraiment de sa passion à 100%, excepté celles et ceux qui passent au JT de JPP à 13h ou dans Flow Magazine ? Mais qui met aussi une sacré pression sur celles et ceux qui se posent des questions sur leur avenir professionnel…
Car avoir une passion -d’ailleurs, pourquoi une seule ?…- n’est pas l’apanage de tout un chacun et la transformer en un métier lucratif encore moins… Imaginez, si vous êtes passionné(e) de cuisine japonaise ou de roses trémières, et que vous y consacrez tout votre temps libre, votre passion aura-telle la même saveur lorsque vous devrez compter chaque grain de riz ou nettoyer des kilomètres de champs de fleurs par moins 10°C pour boucle vos fins de mois ?
Heureusement, non, quoi qu’en disent les médias et les coachs qui affirment que tout le monde devrait savoir identifier sa passion dès le plus jeune âge et s’y consacrer à temps plein pour être épanoui dans sa vie professionnelle. Beaucoup se basent sur cette citation de Confucius « Choisis un travail que tu aimes et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie ». Sauf qu’il y a une différence entre “un travail que tu aimes” et “vivre de ta passion”.
Une passion devenue un métier à temps plein peut vite devenir un cauchemar, il suffit de lire des interviews de sportifs professionnels pour nous prouver que la passion pour leur sport est partie depuis longtemps avec la rigueur des entrainements, les échecs, les blessures, les entraineurs abusifs, etc… Entre jouer un match de tennis entre amis tous les samedis et s’entrainer pour Roland Garros, il y a un gouffre, pas simplement un manque de volonté. Tout comme faire des gâteaux pour ses enfants n’a rien à voir avec ouvrir sa propre pâtisserie, ou faire du bénévolat ne destine pas à embrasser une carrière d’assistant(e) social(e).
La société actuelle nous pousse tellement à devenir quelqu’un de parfait, à coup de vidéos inspirantes, de témoignages de “moi je l’ai fait, pourquoi pas vous ?”, de stages de reconversion ou “switch”, d’accompagnements à devenir qui on est au fond de soi depuis toujours, etc…, que cela devient un stress et une pression permanents pour tous ceux (la majorité) qui n’y parviennent pas malgré tous leurs efforts. Cela renvoie une image de médiocrité, de vie ratée, de potentiel gâché à bon nombre de gens. Mais bonne nouvelle, il n’y a aucune honte à avoir si vous n’étiez pas du voyage Soyouz la semaine dernière alors que vous dessiniez des fusées sur vos murs à 10 ans, et que seul Thomas Pesquet a pu réaliser son rêve : il est une exception et c’est bien cela qui en fait un être à part, de celui que nous ne serons jamais mais qui nous fera rêver. Mais cela ne fait pas de nous des êtres inférieurs qui ne se seraient pas donner les moyens de vivre de leur passion pour autant.
Et puis d’ailleurs toutes les passions sont-elles monétisables ? N’est ce pas le fait qu’elles ne le soient pas qui en font une passion ? N’en avez vous qu’une ? En avez-vous vraiment une ? Autant de questions à se poser sans s’auto-flageller si la réponse est non et si au final comme la plupart des gens vous ne vivez pas de votre passion, mais simplement d’un job que vous aimez. Ou pas d’ailleurs. Car vous n’appréciez peut-être simplement que vos collègues, vos horaires ou votre salaire qui vous permet de vous adonner à votre passion le plus souvent possible.
Bref, c’est toujours intéressant de se pencher de temps en temps sur ce qui nous anime, ce qui nous fait vibrer, ce dont on aimerait faire de sa vie et qui on est vraiment, mais de là à avoir une passion, en vivre et ne plus jamais en changer, cela devient vraiment stupide. Encore une manière de ranger chacun dans une case sous couvert d’inciter les autres à vivre leur vie. Chacun est libre de vivre la vie qu’il s’est choisie, passionnante ou pas, sans céder à la nouvelle mode, on ne le répétera jamais assez sur Fractale !