La fatigue, c’est le mal de notre société, celui qui nous sert d’excuse pour tout, même à être désagréable avec les autres ou à ne pas faire nos corvées… Avez-vous remarqué comme certains dégainent facilement la remarque “oh là là je suis fatigué, j’en peux plus des transports (de mon boss, job, openspace, etc…)” pour justifier leur comportement ? Alors que lorsqu’on est à son compte, on n’ose pas dire qu’on est épuisé car nous on a de la chance, on a choisi notre vie, on n’a pas de patron, pas de collègues, pas de RER à prendre et parfois même on travaille à la maison (autant dire qu’on regarde la TV avec un pot de Nutella dans les mains à en croire toutes celles et ceux qui vont au bureau, mais qui de toutes façons “ne se verraient pas rester à la maison sans voir personne”).
Et pourtant, même s’il est vrai que pour la plupart d’entre nous, nous ne prenons pas les transports en commun, n’avons pas à subir les humeurs de notre manager ou écouter patiemment les compte-rendus du week-end à la machine à café chaque lundi matin, tout repose sur nos épaules. Certes, de nombreux chefs d’entreprises ont des salariés sur lesquels ils peuvent compter pour se délester de charges, mais en France 3 millions d’entreprises n’en n’ont pas, soit la majorité… Ce n’est pas faute de vouloir embaucher, mais vu les frais annexes, en plus des charges, c’est mission impossible lorsqu’on fait un faible chiffre d’affaire, ou quand notre valeur ajoutée repose sur nos épaules à 100%, comme c’est le cas de tous ceux qui proposent des prestations (objet numéro un de création d’activité, avec les VTC et le commerce selon l’INSEE ces derniers mois) ou viennent de lancer leur entreprise. Sauf les startupers qui ont plein de stagiaires épuisés, et qui peuvent ainsi aller de plateaux TV en conférences et soirées mondaines, les traits reposés, le sourire éclatant, les Stan Smith rutilantes, démontrer à nous autres pauvres petits entrepreneurs que c’est le rêve de créer sa boite.
Alors oui, même si on a moins de contraintes que les salariés, nous sommes fatigués, physiquement et nerveusement. Le corps tout d’abord, car il arrive que nous devions courir plusieurs fois par jour à des rendez-vous d’un bout à l’autre de la région, pour signer un devis, réaliser une interview ou chercher une commande. Certains se cassent le dos à faire des colis chaque jour, d’autres à soulever des charges, quand la plupart n’hésitent pas à travailler plus de 12h par jour, week-ends compris, jusque tard dans la nuit et parfois cumuler un petit job alimentaire en parallèle. L’esprit est souvent dans le brouillard, focalisé sur les objectifs, les chiffres, les choses à faire en urgence, les angoisses de perdre un client, de ne rien vendre ou de voir arriver un concurrent féroce. Souvent l’entrepreneur s’endort tard et se réveille la nuit, en ayant fait le cauchemar de tout perdre et se retrouver à la rue avec sa famille. Il peut aussi avoir toutes sortes de manifestations de stress : brûlures d’estomac, boule dans la gorge, difficultés à respirer, eczéma, mal de ventre, etc… Car quand on est à son compte, on ne sait jamais si le mois d’après on pourra se payer. Une situation parfois très difficile à vivre pour soi, mais encore plus pour la famille (d’où le taux de séparation élevé lorsqu’un des deux conjoints lance son entreprise…), car faire des projets est compliqué, s’engager dans l’achat d’une maison ou une voiture aussi, et rien que prendre du temps pour profiter de la vie est très culpabilisant, alors qu’on a toujours quelque chose en attente.
Alors voilà, comment ne pas être fatigué dans ces conditions, même si on a choisi de créer son job ou sa boite, qu’on ne peut pas rejeter la faute sur quelqu’un d’autre, qu’on ne peut pas se plaindre de quoi que ce soit à ses proches ? Certains finissent par vraiment s’épuiser, car ils veulent en faire trop, pour montrer qu’ils assurent, d’autres n’ont pas le choix pour la pérennité de leur entreprise et d’autres ne fréquentent plus que des entrepreneurs pour partager les mêmes difficultés. Mais une chose est sûre, la fatigue est un signal d’alarme, alors salarié ou entrepreneur, elle doit vous alerter et vous signifier que vous êtes en train de tirer sur la corde et qu’à trop tirer, elle finira par se rompre : burn out, blessure, crise cardiaque, AVC, tout arrive et pas seulement aux autres. Encore plus aux chefs d’entreprises, qui ne savent pas ou n’osent pas s’arrêter avant le point de rupture, par peur de passer pour un looser, de faire couler leur boite ou d’abuser, alors qu'”ils n’ont pas à se plaindre, surtout aujourd’hui avec le chômage, la pression, les grèves et la France qui va mal”. Mais comme tout être humain, chacun a ses propres capacités et personne n’est surhumain. Il ne faut pas avoir peur de faire des pauses, de refuser des projets ou invitations, de fuir le monde et de prendre du temps pour soi, sans culpabiliser. N’est-on d’ailleurs pas devenu entrepreneur pour la liberté ? On l’oublie trop souvent alors que c’est dans ces moments là qu’elle trouve toute sa place et qu’il faut en profiter. Quitte à rendre jaloux les autres. Tant pis pour eux, ils ont qu’à créer leur entreprise eux aussi 🙂