“Les réseaux sociaux ont développé l’effet troupeau à l’échelle planétaire” Eka, artiste

"Les réseaux sociaux ont développé l’effet troupeau à l’échelle planétaire" Eka, artiste

Aujourd’hui grâce à internet, aux smartphones, aux réseaux sociaux, tout est possible, comme on aime à le dire. On peut devenir une star en une photo, un tweet ou une video. Mais est-on pour autant un artiste ? Au sens littéral du terme : celui ou celle qui ne vit que pour et de son art, qui a un véritable talent, ou plusieurs, qui a une certaine vision du monde qui l’entoure, qui n’hésite pas à casser les codes et s’affranchir des conventions, à ne pas plaire à tout le monde, plutôt qu’à courir après les likes et partages. Pas sûr si on en croit les artistes qui donnent tout pour leur passion, qui sont nés avec un don et qui n’ont pas attendu Instagram et Facebook pour se mettre à la photographie ou à la peinture.

L’art serait t-il devenu mainstream ? Y aurait-il un artiste qui sommeille en chacun de nous ? Sommes-nous moins exigeants quant à la qualité des œuvres que nous admirons ? Autant de questions que nous avons posé à Eka, artiste multi-talents qui nous donne son point de vue sur le phénomène :

eka

Qui êtes-vous ? Quel est votre parcours qui vous a mené à sa création ?

« I am Eka » c’est mon portfolio, Eka est le diminutif de Ekaterine. J’ai toujours été créative et j’ai toujours expérimenté différents moyens d’expression. Mon parcours m’a donc naturellement mené vers les arts. Une mère artiste peintre, puis un cursus artistique et linguistique… Cela s’est imposé comme une évidence.

Quelles sont les valeurs que vous partagez auprès de votre clientèle ?

Avant tout, je souhaite partager ma passion. J’aime l’idée que les gens prennent le temps de découvrir mon univers, et s’ils sont réceptifs, si je leur transmets de l’émotion, mon but est atteint. Une œuvre offre toujours quelque chose d’intime et l’échange est essentiel.

Une œuvre offre toujours quelque chose d’intime et l’échange est essentiel

Pourquoi avoir fait le choix de devenir indépendante ?

Je dirais que, là aussi, ce n’était pas un choix. Pour moi, il n’y a pas d’autre manière d’être. Vivre et travailler à mon rythme, sortir des sentiers battus ne m’a jamais dérangé, au contraire !

Avez-vous un job en parallèle ?

Oui, et même si c’est loin d’être l’idéal car cela représente pas mal de contraintes, cela me permet aussi de ne pas avoir trop de pression sur mes activités artistiques. Un revenu régulier donne une certaine liberté d’action. De plus, lorsque l’on est créatif, on peut toujours essayer de rendre son job alimentaire plus intéressant – par exemple, dans mon cas, en travaillant dans une entreprise, j’ai pu proposer des créations graphiques, des expositions d’autres artistes, etc.

Comment avez-vous financé le démarrage et le développement de votre activité ?

C’est un investissement qui n’a pas de début ni de fin ! A proprement parler, je n’ai pas eu à financer un démarrage d’activité, sauf lorsque j’ai commencé à peindre et que j’ai acheté le matériel. Après, il faut essayer de vendre pour pouvoir réinvestir et ainsi de suite. Mais le statut d’artiste n’est pas vraiment comparable à celui d’un entrepreneur classique, on a plus de liberté mais d’un autre côté, les résultats sont encore plus aléatoires. Il est difficile d’évaluer les pertes et profits d’une telle activité… D’où le job en parallèle.

Le statut d’artiste n’est pas vraiment comparable à celui d’un entrepreneur classique, on a plus de liberté mais d’un autre côté, les résultats sont encore plus aléatoires

Quelle est votre stratégie marketing pour vous faire connaître ? Comment utilisez-vous les réseaux sociaux dans cette optique ?

Principalement j’essaie de me faire connaître par le bouche à oreille, par les expositions. Je n’utilise pas les réseaux sociaux. J’avoue avoir un côté « old school » !

Entrepreneur, pour vous c’était une passion, une vocation, un pur hasard ? Quel type d’entrepreneur êtes-vous ?

Je suis du type entrepreneur/créateur. Je développe mes projets par passion et par vocation mais il faut que cela dépasse le stade des idées, j’ai besoin de les concrétiser. La conception et la réalisation sont, pour moi, indissociables.

Quel conseil donneriez-vous à un artiste qui se lancerait comme vous aujourd’hui ?

Il faut être tenace et audacieux, privilégier son intuition et aller au bout de ses idées.

Est-ce plus facile de se faire connaître et de se démarquer aujourd’hui avec le net ?

Je viens d’une famille multiculturelle, j’ai vécu à l’étranger, je parle plusieurs langues… J’apprécie donc les possibilités qu’offre le net pour communiquer avec le monde entier. Dans un sens, oui, c’est plus facile de diffuser son travail, mais je pense qu’il est aussi plus facile de se retrouver noyé dans la masse, car tout un chacun a désormais la possibilité de publier des œuvres plastiques, musicales ou littéraires… pour le meilleur et pour le pire.

Aujourd’hui c’est plus facile de diffuser son travail, mais je pense qu’il est aussi plus facile de se retrouver noyé dans la masse

Qu’est ce qui a changé par rapport à il y a quelques années ?

L’accès libre à de nombreux contenus culturels est une chance et devrait être un réel progrès en ce qui concerne la démocratisation de l’art. Hors, tout un business s’est développé autour de ça, un business qui propose une conception exclusivement mercantile au public/consommateur. Je pense notamment aux sites de vente de tableaux qui reprennent les codes de la grande distribution (prix fixés en fonction des formats, rabais, retours gratuits…). C’est un système qui asphyxie l’offre culturelle et en altère la qualité. Finalement, il y a moins de prise de risque, moins d’esprit de découverte et d’aventure !

Avec le nombre d’artistes croissant, pensez-vous qu’on puisse vraiment vivre de son art aujourd’hui ?

Aujourd’hui, le problème, ce n’est pas tant le nombre d’artistes mais plutôt la conception qu’ils ont de leur activité. Nombre d’entre eux ne créent plus, ils “produisent” en fonction de la demande et inondent le marché. Lorsque l’on ne souhaite pas rentrer dans le système, c’est toujours difficile de vivre de son art.

Pensez-vous qu’avant l’émergence du net, il y avait autant d’artistes qui sommeillaient en chacun, ou c’est le net qui a fait éclore des vocations ?

Le net et les nouvelles technologies ont permis à beaucoup de gens de se lancer dans la création. D’un côté, cela a pu susciter des vocations et mettre en lumière des talents qui, auparavant, n’auraient pas eu la possibilité de présenter leur travail par les moyens de diffusions traditionnels (maisons de disques, d’édition, galeries).

Mais d’un autre côté, les réseaux sociaux où l’on cherche constamment à se faire remarquer et une trop grande facilité de réalisation grâce à la technique incitent souvent les gens à croire que tout le monde possède un don artistique. La photographie illustre parfaitement cette tendance: il suffit d’un smartphone et d’un compte Instagram !

Une trop grande facilité de réalisation grâce à la technique incite souvent les gens à croire que tout le monde possède un don artistique

Est-ce que la nouvelle génération est plus artiste que leurs parents ?

Non, elle est simplement moins exigeante et plus exhibitionniste.

Chacun peut-il devenir artiste ou doit-il se former, pour acquérir les bases, enrichir ses connaissances ? Peut-on être un autodidacte à 100% ?

Je ne crois pas que l’on puisse « devenir artiste » car je pense sincèrement que l’on porte cela en soi, c’est inné. Cela n’empêche évidemment pas de se former pour enrichir ses connaissances, pour travailler sa technique ou en acquérir de nouvelles… Tout cela fait partie du processus créatif.

Mais l’école n’est pas nécessaire. Les diplômes, les jurys… ne devraient pas entrer en ligne de compte. Il y a tant de façons d’apprendre que, oui, on peut être autodidacte à 100 % !

Selon vous, qu’est ce qui fait que sur le net des “artistes” émergent notamment grâce aux réseaux sociaux, et pas un autre ? Est-ce la qualité de son travail ou plutôt sa capacité à faire le buzz qui prime aujourd’hui ?

Les réseaux sociaux ont développé l’effet troupeau à l’échelle planétaire. C’est particulièrement évident sur des plateformes comme Tumblr où ce qui est proposé sur leur radar bénéficie immédiatement d’un engouement populaire. Cela dit, si un artiste ne rencontre pas de succès sur les réseaux sociaux, cela n’indique pas forcément que son travail est de mauvaise qualité.

Les réseaux sociaux ont développé l’effet troupeau à l’échelle planétaire

Aujourd’hui pour émerger faut-il miser sur le consensuel, la tendance du moment ou être vraiment soi ? Qu’est ce qui séduit le plus le public ?

Le marketing qui consiste à faire croire aux gens qu’ils sont uniques, que l’artiste ou le produit vendu est exclusif… C’est une stratégie très efficace !

De part le paysage médiatique contemporain, les goûts sont très formatés… Et si certains artistes “hors normes” ont trouvé leur public, en général, il ne faut pas s’attendre à rallier tout le monde à sa cause lorsque l’on développe des arguments personnels ou un univers caractéristique… Ce n’est pas nouveau. Combien d’artistes ont été rejetés, incompris de leur époque !

Vous parlez des sociétés qui se sont créées autour de la démocratisation de l’accès à l’art pour en faire un business, comment les artistes peuvent ils lutter contre cela ? Y a t-il des collectifs qui s’organisent ? Des regroupements, des boycotts ?

Dans l’industrie agroalimentaire ou textile, il y a une sorte de tendance qui vise à valoriser les petits producteurs, la qualité, le fait main, etc., mais paradoxalement, on observe le phénomène inverse dans l’art.

C’est donc un choix éthique que le public/consommateur doit faire.

C’est quoi votre définition de la réussite ?

Je citerais Ralph Waldo Emerson : « Rester soi-même dans un monde qui tente constamment de te changer est le plus grand accomplissement»

Quel est votre moteur au quotidien ?

Le rythme de mon tambour intime.

Qu’avez vous l’impression de sacrifier pour réussir ?

Il est trop tôt pour le savoir !

Quels sont vos projets ?

En ce moment, et jusqu’au 30 septembre, j’expose une cinquantaine de mes peintures, dessins et photographies dans une grande agence de voyage – « Les Ateliers du Voyage », 56 avenue Bosquet, 75007 Paris.

Du 5 juillet au 5 octobre, j’ai une autre expo prévue à l’Hôtel Horset Opéra, 18 Rue Antin, 75002 Paris. En parallèle, je continue de travailler sur le projet d’un album et sur la programmation d’événements culturels en entreprise.