Le 1er mai dernier, une croisière a quitté Miami, bastion de la diaspora cubaine aux États-Unis, pour Cuba. Chose impensable il y a encore deux ans, les cubains ont même pu monter à bord du navire, affrété par Fathom, filiale de Carnival, premier opérateur mondial des croisières. Après le rapprochement des USA et de Cuba en décembre 2014, le gouvernement américain avait donné l’autorisation à plusieurs sociétés de croisière et ferry de rouvrir les lignes maritimes vers Cuba, une première depuis l’interdiction faisant suite à l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro en 1959. Cette croisière était prévue depuis l’été dernier et le voyage a été effectué en partenariat avec l’agence d’État Havanatur. L’Adonia a ainsi pu convoyer 710 passagers à son bord vers l’Ile qui a de son côté levé les principales restrictions de voyage par voie maritime pour tous les Cubains.
Un voyage d’une semaine avec escale à La Havane, à Cienfuegos et à Santiago ayant pour objectif officiel de promouvoir les relations culturelles entre les deux pays, alors que l’embargo américain instauré en 1962, reste toujours en vigueur. Aujourd’hui, seules certaines des restrictions ont été levées, autorisant la reprise des vols commerciaux (dans la limite de 110 vols quotidiens), du courrier postal et donc des croisières, mais pas question de se prélasser sur les plages cubaines, activité non encore autorisées pour les touristes américains.
Fathom prévoit de réaliser cette croisière deux fois par mois, ce qui pourrait donner le coup d’envoi à un afflux de touristes sur l’île, même si les touristes américains ne peuvent pas encore se rendre individuellement à Cuba. A travers des voyages culturels, éducatifs, religieux ou sportifs ils ont été 160.000 à s’y rendre en 2015, 57% de plus qu’en 2014. Une formidable opportunité à la fois pour les américains d’origine cubaine qui n’ont jamais pu retourner sur leur terre natale et revoir leur famille, mais aussi et surtout pour Cuba qui voit là une aubaine pour son économie.
Les géants du tourisme américains ne s’y sont pas trompés et certains, n’ont pas hésité à envoyer leurs émissaires sur l’île dès les premiers signes de rapprochement en décembre 2014, comme Airbnb, qui proposait déjà 1000 appartements à la location en avril 2015, 2000 un mois et demi plus tard et plus de 4000 aujourd’hui.
La chaîne hôtelière Starwood (Le Meridien, Sheraton, W, Westin) a également conclu des accords avec les autorités cubaines et va notamment gérer l’hôtel Inglaterra, ouvert en 1875 et disposant de 83 chambres en plein cœur de La Havane.
Mais c’est l’Espagne qui est le principal investisseur à Cuba avec 45% des investissements totaux réalisés dans l’île sous forme de contrats de cogestion hôtelière, dont elle détiendrait 75% du total.
Pourtant le boom du tourisme sur Cuba ne date pas du rapprochement avec les USA et les touristes américains ne représentent qu’un peu plus de 3% du total. En effet, le gouvernement de Fidel Castro misait sur celui-ci depuis le milieu des années 70 avec la création d’un institut national du tourisme et le développement d’infrastructures lui permettant de retrouver son niveau d’avant-révolution au cours des années 1980 (l’île était alors une destination prisée des riches touristes américains où ils pouvaient s’adonner à toutes les pratiques prohibées dans leur pays : jeu, boisson, paris, etc…). Le nombre de touristes a connu une croissance exponentielle dans la décennie suivante, approchant aujourd’hui les 3 millions de visiteurs annuels, alors que la chute de l’URSS qui soutenait l’économie cubaine depuis 1959, mettait à mal le pays. Aujourd’hui le tourisme à Cuba constitue la seconde source de revenus du pays. Du pays, mais pas des cubains, qui sont exclus de cette manne financière et subissent un rationnement alimentaire et des biens de consommation courante, malgré l’ouverture amorcée par le gouvernement. Certains y voient même un durcissement des conditions de vie et une restriction des libertés depuis plusieurs mois.
Mais voilà, Cuba peine à loger cet afflux de touristes auquel l’île n’était pas préparée et l’industrie touristique se retrouve submergée, car ses infrastructures n’ont pas été développées pour accueillir autant de visiteurs. Ce sont plus de 3,5 millions de voyageurs internationaux qui ont foulé le sol cubain en 2015, soit une hausse de 17,4 % sur un an. Alors que seules 63 000 chambres sont disponibles sur le marché touristique de l’île, dont environ 70 % d’hôtels 4 et 5 étoiles appartenant pour la plupart aux proches du pouvoir. Le gouvernement souhaiterait porter celui-ci à 85000 d’ici 2020 en faisant appel à des investisseurs et aux cubains eux-mêmes : actuellement seules 12 000 maisons proposent des services d’hébergement et de restauration aux touristes. Les autorités misent essentiellement sur le luxe en développant des marinas, des parcs thématiques, des terrains de golf. Des projets incluent la création de complexes comportant des terrains de sports, des gymnases, des hôtels, des cabarets, des galeries commerçantes et des écoles de langue. Le tout à grand renfort d’expropriation de la population cubaine. La Havane pourrait aussi devenir un grand port touristique. Autant de potentiel et de défis que Cuba devra relever après 57 ans d’isolement et une pauvreté extrême de sa population toujours soumise à une des dernières dictatures de la planète.