La lutte entre ceux qui travaillent vraiment et ceux qui se tournent les pouces ne date pas d’hier en France. C’est même une lutte éternelle, tant elle revient dans toutes les conversations, les débats, les discours des politiques et des syndicats, la vieille et la jeune génération, etc… Avec d’un côté ceux qui se lèvent tôt pour aller gagner leur vie et de l’autre ceux qui profitent de l’État Providence, qui oppriment leurs salariés ou qui sont freelance. En France depuis toujours on aime s’opposer les uns aux autres, à démontrer selon les périodes que notre vie est plus belle que celle de notre interlocuteur ou bien qu’elle est beaucoup plus dure.
Plus difficile, car le vrai travailleur doit mettre son réveil chaque matin, sortir dans le froid rejoindre des utilisateurs de transport en commun à la mine grisâtre et pessimiste ou agressive si le RER marque un temps d’arrêt supérieur à la normale. Il doit aussi supporter toute la journée des collègues stupides et ennuyeux, qui ne le comprennent pas et qui passent leur temps à faire des complots dans son dos. Sans oublier son manager qui le bombarde de mails et de tâches inintéressantes à accomplir. Ou en dehors de sa mission de travail. Et comme il a un crédit immobilier et voiture, deux enfants et des vacances à payer, il ne peut pas changer de job en ce moment. Et peut-être à vie, quand on voit le taux de chômage. Son proverbe est “on sait ce qu’on perd, mais jamais ce qu’on gagne”. Lui permettant ainsi de ne pas changer sa vie et de continuer à se plaindre de son dur labeur. Tempêtant contre ces chômeurs que ses impôts engraissent à se tourner les pouces toute la journée sur Facebook et à la salle de sport. Aaaaah si lui aussi pouvait vivre ainsi, il le ferait. Mais comme il l’a déjà dit, il ne peut pas. Lui. Pas non plus comme ces nouveaux entrepreneurs, qui tentent leur chance de vivre une vie meilleure mais qui reviendront bientôt dans le droit chemin après leur petite récréation.
Et puis entrepreneur c’est quoi ? Travailler à la maison, se lever à 9h, regarder le JT de 13h, boire des cafés et des mojitos avec d’autres startupers qui pensent refaire le monde. Aller dans des soirées pour soi-disant décrocher des contrats, passer ses journées sur les réseaux sociaux à prospecter ou faire de la veille, comme ils disent, voir même prendre une après-midi pour se rendre à une exposition afin de (re)trouver sa créativité (sic). On y croit bien sûr… Une bonne excuse pour ne rien faire, pendant que le vrai travailleur enchaine les réunions de service déterminantes pour l’avenir de la boite. Franchement est-ce que c’est ça travailler ? Devenir adulte et assumer ses responsabilités ? Ne faire que ce qu’on aime, ne pas avoir de contrainte, pas d’équipe à supporter ou d’horaire à respecter, on ne peut pas appeler ça un travail. Et en plus certains gagnent leur vie à vivre ainsi, scotcher à leur ordinateur, sur leur canapé avec un thé à portée de mains, leur chat sur les genoux. C’est pas normal. 35h par semaine, 10h de transport, des sandwichs au pain de mie engloutis tous les midis, pour gagner 2000€ au bout de 12 ans de carrière, alors que certains empochent le double en étant entrepreneur, avec 0 contrainte. Ou bien peut-être qu’il faudrait se lancer aussi et faire comme eux. On ne sait jamais ça pourrait marcher, ça n’a pas l’air compliqué : une page Facebook, un profil linkedin, des cartes de visites et il y aura bien quelques clients qui signeront.
Ces remarques, vous les avez certainement déjà toutes entendues, car c’est bien connu, quand on est entrepreneur, et encore pire freelance, on ne travaille pas. On occupe ses journées. On est libre de faire ce qu’on veut, de rester en pyjama, de grignoter des Kinder en tchatant sur Facebook, mais aussi de garder les enfants des autres, de réceptionner les colis de sa famille, de faire les courses, de programmer les prochaines vacances, d’assurer les rendez-vous administratifs et surtout de ne jamais être fatigué. De ne même pas avoir le droit d’oser dire qu’on est fatigué. Car pourquoi le serait-on vu qu’on ne travaille pas. On ne peut pas non plus se plaindre de quelques chose qui ne va pas, car on a choisi ce mode de vie, donc on doit l’assumer, contrairement à un salarié qui est obligé de travailler.
Bref deux mondes incompatibles, qui ne se comprendront jamais, malgré l’engouement actuel pour l’entrepreneuriat. Certes, les reportages ont tendance à montrer des bandes de jeunes jouant au babyfoot dans des coworkings aux couleurs acidulées après avoir levé 500 000€, mais c’est une minorité. Même si on dispose de notre emploi du temps et qu’on n’a pas de patron, on a des clients, à qui il faut rendre notre travail en temps et en heure au risque de ne pas être payé, il faut courir après les factures et les nouveaux contrats, il faut rattraper tout ce temps qu’on pourrait perdre en rendant service à ceux qui travaillent vraiment, le soir ou les week-ends. Sans oublier le temps qu’on passe à justifier de ses choix de vie face à ceux qui nous assènent “toi tu as le temps, tu ne travailles pas (ou tu travailles chez toi, ou tu travailles quand tu veux)”, ou encore “quand est-ce que tu reprends un vrai travail ?”. Quand on choisit son job et qu’on aime ce qu’on fait, on ne travaille pas, c’est un fait établi en France. Et on a troooop de la chance par rapport à tous ces vrais travailleurs qui eux ne peuvent pas faire autrement 🙂 Enfin si, ils pourraient se lancer eux aussi et devenir entrepreneurs, pour devenir comme nous et ne plus avoir à travailler de leur vie ?