Après Ludwine Probst et Lucile Reynard, on continue le tour d’horizon de la place des femmes dans la tech. Alors que l’association Girls in Tech vient de publier son étude annuelle sur l’entrepreneuriat féminin dans la tech et ses chiffres révélateurs, il semble que les femmes comment à rattraper leur retard dans ce secteur traditionnellement très masculin. Qu’en est-il dans la réalité, au sein même de ces entreprises ? C’est que nous avons demandé à Stéphanie Hertrich, Developer Evangelist chez Microsoft.
On dit souvent qu’il y a peu de femmes dans la tech, est-ce une réalité ?
Si je regarde autour de moi, j’en vois effectivement très peu et ce depuis le début de mon parcours informatique, c’est-à-dire mes études. Je ne suis pas au fait de toutes les statistiques dans ce domaine mais je peux parler de mon cas personnel.
J’ai commencé par intégrer un IUT en informatique : la proportions de femmes en 1ère année devait être aux alentours de 10%. C’est peu mais pourtant si je compare ce ratio à celui de ma 5ème année d’études : un DESS (ancien Master 2) en informatique, le résultat est bien différent ! Nous étions 5 ou 6 filles sur une promotion de 18 élèves (sachant qu’il y a une forte sélection sur les notes à l’entrée de cette 5ème année). Je ne saurais dire si cette différence est générale ou si c’est un cas particulier, mais l’on ne peut que s’en réjouir ! En effet c’est un signal fort pour les femmes qui se lancent dans des études techniques : si elles survivent à la première année (car beaucoup abandonnent à ce stade malheureusement), elles ont toutes les chances de finir parmi les meilleurs élèves. J’ai moi-même été major de promotion cette année là et je sais qu’au moins 1 autre fille l’a été aussi durant les 2 ou 3 promotions précédentes ! On tendrait donc vers une réelle parité si on se base sur l’excellence en sortie de cursus …
Une fois entrée dans le monde du travail, les statistiques ont été moins favorables : de l’ordre de 5 à 7% en moyenne.
Un signal fort pour les femmes qui se lancent dans des études techniques : si elles survivent à la première année (car beaucoup abandonnent à ce stade malheureusement), elles ont toutes les chances de finir parmi les meilleurs élèves
Pourquoi ? Est-ce partout pareil ?
Les raisons sont probablement multiples. J’échange régulièrement avec des collégiennes ou lycéennes que je rencontre lors d’actions pour faire connaitre les métiers techniques auprès des jeunes. L’image qu’elles ont des développeurs ou informaticiens ne colle pas avec leurs rêves de jeunes filles. Cela ne correspond pas à leur idéal féminin : effectivement il n’y a pas de femme connue – avec une aura qui dépasse notre milieu tech – qui puisse leur servir de modèle. Évidemment il y a aussi l’aspect culturel et sociétal qui fait qu’on met inconsciemment nos enfants dans des cases. J’ai 2 garçons et une fille et je me surprends régulièrement à suivre ces codes qui n’encouragent pas la diversité, sans m’en rendre compte.
Dans les pays en voie de développement, il y a moins de différences comme par-exemple en Inde où la proportion d’informaticiens est très importante aussi bien chez les garçons que chez les filles. Les raisons sont multiples et c’est une question complexe à aborder : comme je ne suis pas analyste je préfère ne pas m’aventurer à donner une explication.
Avez-vous déjà eu à subir de la discrimination, du sexisme ? Quel est votre avis sur cette question ?
Je pense que la principale question est celle de la confiance en soi. En tant que minorité on se met nous-même la pression : on veut prouver qu’on est aussi capable que les garçons et du coup on supporte plus mal les échecs.
Je pense que les femmes (moi y compris) ont une part de responsabilité dans le fait qu’elles soient parfois perçues comme « moins pertinentes » ou d’un niveau plus faible.
Avec la pression supplémentaire, on a tendance à se protéger en évitant les challenges, on ne veut pas déranger, on veut faire plaisir, on laisse la place aux autres… On tend nous-même le bâton pour se faire battre.
Bon ce n’est pas que de notre faute évidemment : on part d’une base bancale avec le sexisme « banal » : on retrouve cela dans d’autres métiers où les femmes sont minoritaires. La politique par-exemple, où une femme est vue comme autoritaire quand elle a un avis affirmé alors qu’un homme sera valorisé quand il prend des positions fermes.
Je pense qu’il faut qu’on ose, tout simplement, autant que les garçons, et qu’on accepte aussi les échecs quand ils surviennent : car nous ne valons pas mieux que les garçons pour autant !
J’ai l’impression que si une fille se plante, le ressenti général sera plutôt : « elle a fait ce qu’elle a pu ». Et si c’est un garçon, ça sera « il s’est planté sur ce coup là » : mais là encore, c’est peut-être simplement une perception fausse liée à un manque de confiance…
Pour répondre plus directement à la question, j’ai rarement été confrontée à du vrai sexisme, qui dépasserait celui que l’on rencontre dans notre quotidien de femmes. Je ne ressens pas de désagrément à travailler avec une majorité de garçons : on est des collègues, pas des « hommes » ou des « femmes ». De toute manière si certaines personnes ont des a priori, ceux-ci tombent dès le moment où l’on travaille concrètement ensemble car là c’est le contact de personnes à personne et les compétences qui prendront le dessus.
En tant que minorité on se met nous-même la pression : on veut prouver qu’on est aussi capable que les garçons et du coup on supporte plus mal les échecs
Comment se fait-il qu’encore aujourd’hui, en Occident tout du moins, les femmes ont acquis tous les droits, elles n’arrivent pas à aller là où on ne les attend pas, comme dans la tech ?
Je ne pense pas qu’elles n’y arrivent pas, je pense qu’elles préfèrent réussir dans d’autres domaines tout simplement, pour les raisons citées plus haut.
Une fois qu’on décide de rejoindre ce milieu, ce n’est pas dur de s’y sentir bien : bien plus simple que dans d’autres domaines très durs envers les femmes comme la politique ou les medias.
C’est vraiment la question de faire ce pas qui consiste à choisir ce métier qui est le bloqueur de la parité aujourd’hui.
Pourquoi les femmes sont elles moins payées que les hommes dans la tech ? D’où vient cette “norme” ?
Il y a moins de différences de salaire entre hommes et femmes dans le domaine de la tech qu’ailleurs. Ce qui est une bonne nouvelle !
Néanmoins on va retrouver les mêmes ralentisseurs qu’ailleurs, notamment celui de la maternité. A vue de nez, je dirais que chaque enfant « coûte » en moyenne 3 ans de progression de carrière : tech ou pas tech, c’est pareil partout non ? Cela va changer dans le sens où les papas participent de plus en plus à la vie de la famille. Pour ma part : j’ai pris 1 an de congé parental à la naissance du petit dernier, puis j’ai repris le travail à 100% et c’est le papa qui est passé en temps partiel pendant 2 ans pour s’occuper des enfants le mercredi : le ralentissement de carrière est partagé !
Quel est ce “plafond de verre” dont on parle, dans la réalité ?
C’est plutôt un plafond de verre lié à une prise de responsabilités au sein d’une société : atteindre des postes de direction, etc… C’est un problème de « femme », pas spécifiquement de « femme dans la tech ».
De toute manière en France, on ne fait pas évoluer sa carrière en restant sur des postes techniques, donc c’est un problème que je risque de ne jamais rencontrer !
En effet, je serai bloquée avant, en étant cette fois confrontée au même problème que mes petits collègues masculins : au bout d’un moment, pour évoluer en France, un profil technique doit passer à des postes de management.
C’est donc une double peine pour les femmes techniques J !
En France, on ne fait pas évoluer sa carrière en restant sur des postes techniques
Les réseaux de femmes, est-ce une avancée, une stigmatisation ? Pourquoi ne rejoignent-elles pas les réseaux mixtes ?
Elles sont aussi dans les réseaux mixtes… Qui d’ailleurs ne le sont pas puisqu’il y a autour de 90% hommes dans le métier J
L’idée de ces groupes comme Duchess (groupe de femmes techniques dans l’informatique) est justement de montrer au reste du monde que c’est possible d’être une femme dans la tech, possible de s’y sentir bien et de s’y épanouir, d’encourager les jeunes filles à connaitre ces métiers pour choisir leur orientation en connaissance de cause, d’encourager les membres à prendre la parole dans des conférences techniques (une spécificité très liée à notre métier tech et où il y a encore bien moins de femmes… voire quasiment pas du tout) en les coachant pour cela de manière très opérationnelle. On organise aussi des workshops qui ne sont pas du tout réservés aux femmes : on ne veut pas être « en marge » des garçons, au contraire ! On souhaite démocratiser davantage cette profession auprès des femmes pour que l’on puisse travailler ensemble (hommes et femmes) – et non pas entre nous – ce qui est radicalement différent. D’ailleurs les hommes sont les premiers à souhaiter plus de parité dans leurs équipes et beaucoup d’hommes sont inscrits à notre groupe pour être informés et profiter de nos actions…
Nous allons très bientôt mettre en place une initiative de marrainage : du coaching personnalisé pour les femmes qui s’engagent dans des études ou des métiers techniques. Stay tuned !
Quels sont les rôles modèles aujourd’hui qui font bouger les choses ?
Aujourd’hui, il n’y en a pas vraiment qui soient connus du grand public et des jeunes. Duchess publie une galerie de roles modèles à laquelle nous ajoutons de nouvelles interviews régulièrement.
Ce n’est pas suffisant évidemment mais ces gouttes d’eau, petit à petit, permettent de changer la perception des jeunes, mais aussi de leurs parents et encadrants qui sont clé dans les choix d’orientation.
Pas plus tard qu’aujourd’hui, j’ai passé un petit moment avec une élève en stage de 3ème chez Microsoft. Elle devait collecter des interviews de différents profils métiers et je suis passée après plusieurs collègues : marketing, etc…
A la fin de l’interview elle m’a dit « Waouh c’est trop cool comme métier, c’est celui que je préfère de tous ceux que j’ai entendu » : on avait discuté à peine 10 minutes !
Comme quoi, il ne manque peut-être pas grand-chose…