Ipsos et Sopra Steria ont interrogé, du 12 au 22 mai 2015, 7000 Européens dans 7 pays emblématiques de l’Union Européenne : la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne, l’Italie, la Pologne et la Suède pour comprendre notamment comment la crise économique qui touche l’Europe depuis 2008 a transformé leurs perceptions et leurs anticipations de l’avenir. Si le contexte économique exacerbe les peurs et la tentation du repli, il a aussi pour conséquence la mise en place de nouvelles stratégies de la part d’individus qui tentent de contourner les institutions défaillantes. Les initiatives se multiplient, aidées par les progrès technologiques et l’ingéniosité des nouvelles générations, s’illustrant notamment dans le développement de la consommation collaborative.
L’usage prime sur la possession
En 2015, posséder sa résidence secondaire ne fait plus rêver que 35% des Européens (contre 65% qui préfèrent emprunter ou louer ce type de bien). Les Français (76%) et les Allemands (73%) sont ceux qui plébiscitent le plus cette solution. Cette tendance touche aussi bien les plus jeunes que les plus âgés : même les séniors préfèrent aujourd’hui majoritairement louer ou emprunter leur résidence de vacances (62% des 55 ans et plus).
Les biens dont l’utilisation n’est le plus souvent qu’occasionnelle, et qui encombrent le reste du temps les Européens, sont également concernés par cette tendance : 36% d’entre eux déclarent ainsi préférer emprunter ou louer les accessoires automobiles dont ils ont besoin (coffre de toit, porte-vélo, siège enfant…), 34% le matériel de jardinage (tondeuse, motoculteur…) et 26% le matériel de bricolage (ponceuse, perceuse…).
Les biens culturels (livres, CD, DVD…) viennent ensuite, avec 23% des Européens qui déclarent désormais préférer les emprunter ou les louer que de les posséder, une proportion qui varie peu en fonction de l’âge des répondants, mais davantage en fonction de leur niveau de revenus : les Européens dont les revenus sont les plus modestes sont ceux qui recourent le plus à l’emprunt ou la location.
Cependant cette tendance n’a pas encore gagné le logement principal, 87% des Européens préfèrent le posséder contre seulement 13% le louer ou l’emprunter, et la voiture (89% préfèrent la posséder contre 11%). C’est en Suède que la préférence pour l’emprunt ou la location de ces deux types de biens est la plus développée mais en France et en Italie qu’on est le plus attaché à sa voiture particulière (92% des Français comme des Italiens préfèrent la posséder), et en Pologne à l’achat de sa résidence principale (95% des Polonais préfèrent la posséder).
Si l’on considère l’ensemble des biens testés, c’est en moyenne en Espagne et en Suède que la préférence pour l’emprunt ou la location est la plus forte, et en Pologne et en Grande-Bretagne que l’on reste le plus attaché à la propriété.
Une consommation de plus en plus alternative
Depuis 5 ans, 51% des Européens déclarent avoir plus souvent loué, échangé, emprunté et/ou acheté d’occasion des objets. Ces pratiques se développent particulièrement en Europe du Sud, en France et en Pologne. C’est avant tout l’achat d’occasion qui a augmenté de manière exponentielle (39% l’ont fait plus souvent dont 11% « beaucoup plus souvent »), facilité par le recours à des sites tels que le Bon Coin, eBay… La France apparaît comme la championne d’Europe du développement de l’achat d’occasion, devant l’Italie, la Pologne et l’Espagne.
Les Européens ont également pour 27% d’entre eux davantage eu recours à l’emprunt d’objets au cours des 5 dernières années. Cette pratique augmente particulièrement chez les jeunes (33% des moins de 35 ans y ont davantage eu recours), en Espagne, en Italie et en France.
Près des deux tiers des Européens ont constaté l’émergence de nouvelles formes de consommation collaborative. Leur potentiel de développement est important.
Les jeunes diplômés sont les premiers adeptes d’une nouvelle forme de consommation
Les Européens qui ont adopté le nombre moyen le plus important de pratiques relevant de la consommation collaborative sont avant tout jeunes et plus diplômés que la moyenne.
Le profil type des adeptes de la consommation collaborative n’est pas pour autant celui du geek tel qu’il est souvent caricaturé : de sexe masculin et célibataire. Les parents sont en réalité plus férus de ces nouveaux modes de consommation. La durée d’utilisation limitée des produits pour enfants les poussent sans doute à se convertir à ce type de pratiques.
Pour autant la maîtrise d’internet est clairement un facilitateur, voire un préalable indispensable pour faire siennes ces nouvelles pratiques. Les Européens sont d’ailleurs très conscients du rôle joué par internet dans le développement de la consommation collaborative : 91% d’entre eux jugent que le web joue en la matière un rôle important voire primordial.
La crise économique est responsable de l’émergence de l’économie collaborative
Si internet joue aux yeux des Européens un rôle décisif dans l’essor de ces nouveaux modes de consommation, ils ne considèrent pas pour autant les évolutions technologiques comme ce qui explique le mieux l’émergence de ces pratiques.
A leurs yeux, c’est en effet avant tout le contexte économique qui provoque ce changement des comportements : avec la crise, les individus cherchent à dépenser le moins possible. Cette raison est avancée par 52% des Européens, et plus massivement encore dans les pays qui ont le plus adopté ces nouveaux codes de la débrouillardise : la France (69% citent le contexte économique), l’Italie (66%) et l’Espagne (59%). Seuls 18% l’expliquent avant tout par une véritable transformation de nos sociétés traduisant un besoin de retrouver du lien, de se passer des intermédiaires.
Il ne faudrait pas en conclure que ce phénomène est purement conjoncturel aux yeux des Européens : 73% pensent au contraire qu’il s’agit d’une tendance de fond et qu’il va s’accroître. Les Français en sont particulièrement convaincus (77%).
Vers une société plus solidaire ?
Interrogés sur la nature solidaire (ou non) d’un certain nombre de pratiques de consommation collaborative, les Européens considèrent globalement qu’elles relèvent de la solidarité, au moins en partie. Aux yeux d’une majorité d’Européens, pour relever pleinement de la solidarité, une action doit toujours apparaître désintéressée. Or la consommation collaborative ne répond qu’en partie à cette condition : le plus souvent, elle est la rencontre d’intérêts convergents. L’émergence de ces pratiques vient bousculer la conception traditionnelle (et plus restrictive) de la solidarité, héritée d’une conception de la charité qui suppose un acte unilatéral, pour la transformer en une multiplicité de relations où chacun peut trouver son compte.
Ces pratiques ont pour conséquence de conduire à une société plus solidaire (69% le pensent dont 11% « tout à fait »). Les Espagnols (84%), Italiens (76%), Polonais (76%) et Français (74%) en sont les plus convaincus. Dans ces pays où le système étatique de protection sociale apparaît comme défaillant ou en perte de vitesse, ces nouvelles pratiques apparaissent comme une nouvelle façon d’être solidaire, et de reprendre le contrôle sur son destin. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ces pratiques se développent le plus dans les pays dans lesquels on craint le plus aujourd’hui de basculer dans la précarité : la Pologne, l’Italie, l’Espagne… et la France.