Depuis l’émergence des liseuses, tablettes numériques et smartphone, on entend régulièrement dire que le livre est mort. Plus personne ne lirait, il suffit de regarder dans les transports en commun, tout le monde semble plongé dans la lecture passionnante des posts Facebook de ses amis, ou écouter de la musique en streaming sur son téléphone mobile. Effectivement, inutile de nier que le smartphone et la 3G/4G ont permis de tuer le temps dans les périodes d’ennui incompressible, telles que les transports, les salles d’attente, les repas en famille qui s’éternisent, etc… Pour autant ces personnes lisaient-elle des livres dans ces mêmes moment auparavant ? Pas si sûr que cela, car l’internet mobile a créé de nouveaux besoins, là où avant il n’y avait que le vide, sans véritablement remplacer une activité.
A y regarder de plus près, il y a toujours pas mal de monde qui lit des livres dans le RER, le métro, le TGV. Déjà il n’y a pas forcément de connection et d’autre part les mordus de livres ne peuvent pas se passer de l’excitation ressentie à la lecture d’un lire passionnant, qui permet de faire une pause dans une journée trépidante, hyperactive et épuisante mentalement. Parfois c’est le seul instant où il est possible de mettre son cerveau au repos, de ne pas penser, de lâcher prise en se laissant transporter par l’intrigue.
Alors peut-être que les librairies sont en train de disparaitre (ce serait le commerce de détail où il y aurait le plus de faillites et les plus faibles rentabilités selon le Syndicat de la Librairie), mais est-ce pour autant du au désintérêt des gens pour la lecture ? Ne serait-ce pas plutôt parce qu’elles ne se sont pas réinventées ? Certaines librairies de grandes ou petites villes drainent pourtant un énorme flot de visiteurs et acheteurs car elles ont su créer une expérience shopping, se spécialiser, étoffer leur gamme de livres rares, étrangers, universitaires, thématiques, proposer un avis éclairé sur les best-sellers, organiser des rencontres avec les auteurs, proposer une offre d’auto-édition aux écrivains en herbe, scénariser des évènements en lien avec l’actualité. Les autres qui n’ont pas évolué, qui n’ont pas su créer l’émotion capable de faire venir et retenir une clientèle volatile, se font bien évidemment faites manger par Amazon, la Fnac et consorts. Quel est l’intérêt d’aller dans sa librairie de quartier si elle ne vend pas le dernier livre de Valérie Trierweiler, vous interdit de flâner dans les rayons et fait le ménage une fois tous les 6 mois, alors qu’avec internet, vous avez les frais de port gratuits, la livraison rapide et les livres que vous ne trouvez nulle part.
Comme dans toute révolution économique et sociétale, seuls ceux qui s’adaptent s’en sortiront, les autres mourront. Ce n’est pas nouveau, le phénomène était déjà décrit dans Au bonheur des dames d’Émile Zola et touche tous les secteurs économiques. C’est tellement plus facile d’accuser les consommateurs de ne plus lire et d’être stupidement accrochés à leur smartphone à consulter les listes de Topito, ou la chronique de Romy sur Cheek Magazine, voire lire en 2 minutes un résumé de livre dans une newsletter. Certes ces innovations trouvent leur lectorat, mais le bon vieux roman ou polar aura toujours la côte tant qu’il sera addictif et proposé avec amour, sur le net, chez son libraire ou à la plage.
Et oui à la plage ! C’est l’endroit où le plus de livres sont consommés. Allongé(e) sur un drap de plage, en bikini (ou short de bain), huilé(e) de monoï, à jeter un œil aux enfants distraitement, pendant que l’esprit est accaparé par un livre à la trame passionnante, qu’il est impossible de lâcher sans connaitre le dénouement. Les bibliothèques des stations balnéaires l’ont elles bien compris depuis quelques années et proposent dans de nombreuses villes d’emprunter un livre à lire sur la plage, à l’instar de Saint Cyprien qui propose pour la seconde année, l’opération “un livre à la mer”, avec 2500 ouvrages disponibles en prêt gratuitement pour lire sur place ou chez soi. A Bordeaux, les bibliothèques municipales se transforment le temps de l’été en Biblio-Plage sur la plage du Lac, un espace de baignade et d’animations pour les familles. Les plages du nord s’y mettent aussi, comme à Dunkerque, où la Bibliothèque des sables s’est installée devant le Majestic, sur la plage de Malo. A Agde, les organisateurs constatent une augmentation de la fréquentation de 40% en 2014 par rapport à 2013 au biblioplage. Des agrandissements ont du être aménagés pour satisfaire tous les mordus de lecture.
Ces opérations “lire à la plage” sont un bel exemple de transformation de l’expérience utilisateur, où les organisateurs ont su aller au devant des attentes de ces derniers, en sortant de leurs murs le temps d’un été là où se trouve “leur clientèle” et fait naître chez eux un besoin, une envie qu’ils ne soupçonnaient certainement pas. C’est l’incitation à lire créée par ces biblioplages qui transforme la demande. Une révolution culturelle à suivre pour les librairies qui veulent se réinventer ?