Philippe Gélis est le co-fondateur et CEO de Kantox, une startup française basée à Londres et Barcelone qui propose une plateforme de gestion d’échanges de devises pour PME et ETI. Kantox a levé plus de 16 millions d’euros auprès de Partech& IDinvest, compte une centaine de salariés qui travaillent avec plus de 2000 clients.
L’idée de Kantox est de permettre aux entreprises de petite taille d’avoir des taux de change transparents et faibles, par rapport à ceux pratiqués par les banques. La plateforme a pour le moment géré plus de 1.5 milliards d’euros de transactions depuis sa création en 2011.
Nous avons interrogé Philippe sur sa vie d’entrepreneur expatrié, qui se partage entre Barcelone où la R&D de Kantox est installée et Londres le siège social de l’entreprise.
Quel est votre parcours professionnel ? C’est quoi Kantox ?
Après mes études à Toulouse Business School, dont une année d’échange à Barcelone, j’ai travaillé 7 ans dans le conseil en stratégie dans différents cabinets dont Deloitte. J’avais toujours eu envie de monter ma boîte mais j’attendais le moment opportun. En 2011, avec un de mes collègues de Deloitte, nous avons décidé de créer Kantox, une plateforme en ligne de gestion des devises pour les PMEs et ETIs. On est parti du constat que les banques sont opaques et appliquent des tarifs prohibitifs sur les opérations de change. Nous voulions mettre un coup de pied dans la fourmilière. Nous sommes aujourd’hui 60 personnes, dont beaucoup de Français, nous avons déjà levé 18 Millions d’Euros avec Partech Ventures et IDinvest Partners et nous allons prochainement atteindre les 2 milliards d’Euros de volume de transactions sur la plateforme.
On est parti du constat que les banques sont opaques et appliquent des tarifs prohibitifs sur les opérations de change
Pourquoi avez-vous quitté la France ? D’où vient la choix d’avoir internationalisé la R&D à Barcelone et le siège social à Londres ?
J’ai beaucoup voyagé durant mes études. En plus de Barcelone, j’ai fait un échange au Mexique et une césure en Suisse. Je trouve que vivre à l’étranger permet d’évoluer beaucoup plus vite, de développer une capacité d’adaptation et de devenir réellement bilingue. Je dirais donc que je n’ai pas réellement quitté la France, je suis plutôt allé voir ailleurs ce qui se passait. Aujourd’hui je vis entre Londres, où nous avons notre siège, et Barcelone, où nous avons le back-office. Londres est la capitale financière d’Europe (du monde en ce qui concerne le marché des devises) et Barcelone offre un rapport qualité de vie / compétitivité inégalable, le choix était donc vite fait.
Vivre à l’étranger permet d’évoluer beaucoup plus vite, de développer une capacité d’adaptation et de devenir réellement bilingue
Quel a été votre cheminement pour choisir l’expatriation ?
Pour moi ce fut une évidence. J’étudiais à Barcelone puis je suis parti en stage en Suisse et après ça j’ai décroché un double diplôme à Mexico. Revenir en France aurait alors été une manière de mettre fin à l’aventure, chose dont je n’avais aucune envie. Vivre entre Londres et Barcelone permet de tirer profit du meilleur des 2 villes. J’aimerais d’ailleurs pouvoir passer 2-3 ans à San Francisco, c’est une sorte de passage obligé pour les entrepreneurs tech et la qualité de vie y est fantastique.
J’aimerais pouvoir passer 2-3 ans à San Francisco, c’est une sorte de passage obligé pour les entrepreneurs tech et la qualité de vie y est fantastique
Pourquoi Londres et Barcelone ? Qu’est ce qui vous a attiré ?
Londres c’est LA place financière, une ville très cosmopolite, un dynamisme incroyable, un eco-système tech très puissant. Le plus puissant d’Europe et probablement le second ou troisième dans le monde après San Francisco et NY. Barcelone c’est LE meilleur endroit pour vivre en Europe, le soleil et la plage, la gastronomie, un eco-système tech qui se consolide, et tout ça pour 4 fois moins cher que Londres.
Barcelone c’est LE meilleur endroit pour vivre en Europe
Qui a t-il de plus et de moins à Londres et Barcelone par rapport à la France ?
Je dirais que la France est d’une certaine manière entre les deux (géographiquement aussi d’ailleurs). La qualité de vie est meilleure en France qu’à Londres mais pas qu’à Barcelone. L’eco-système tech Français est solide, plus que celui de Barcelone, mais beaucoup moins que celui de Londres. La France a des atouts incroyables, je crois simplement que pour moi elle manque un peu d’exotisme.
La France a des atouts incroyables, je crois simplement que pour moi elle manque un peu d’exotisme
Que vous manque t-il de la France ?
Je suis souvent en France soit pour rencontrer nos clients, partenaires et investisseurs soit pour voir ma famille dans les Corbières. Et chaque fois c’est avec grand plaisir que je vais manger un steak tartare au Café Pere et Fils en face du Partech Shaker ou que je passe un moment dans les vignes chez mes amis vignerons. En résumé, je suis parti mais je garde des liens très étroits avec la France. Kantox fait d’ailleurs parti de “France Fintech” parce que nous croyons au potentiel de la France.
Je suis parti mais je garde des liens très étroits avec la France
Comment percevez-vous La France depuis l’étranger ?
Vu depuis l’étranger, le Français reste quand même assez pessimiste comparé au Londonien ou au Barcelonais, mais la France a des atouts incroyables. Chez Kantox nous avons beaucoup de jeunes Français, des Polytechniciens, des Centraliens, des HEC, etc. Et leur niveau est excellent! Allez à San Francisco et demandez leurs qu’est-ce qu’ils pensent des ingénieurs et entrepreneurs Français et vous n’entendrez que des louanges. N’oublions pas que “entrepreneur” est un mot Français et que nous avons de grandes success stories (Free, Criteo, Sigfox, Blablacar, Ventes Privées…). Évidemment tout ne va pas bien mais en Espagne non plus (25% de chômage). Tout est une question d’état d’esprit et sur ce point c’est vrai que la France a tendance à toujours voir le mauvais côté des choses.
Vu depuis l’étranger, le Français reste quand même assez pessimiste comparé au Londonien ou au Barcelonais
Selon vous, la vague de l’entrepreneuriat en France a t-elle un avenir, est-elle une mode, ces entreprises ont elles vraiment les moyens de devenir grandes ?
Soyons réalistes, nous aurons toujours un déficit face aux américains pour 2 raisons: (1) ils ont un vrai marché unifié de 400M de personnes et (2) ils ont une culture du risque, une culture de cow-boys, que nous n’avons pas en France et que l’on ne peut pas changer de manière massive et rapide. Plutôt que de généraliser, réfléchissons au cas par cas, Criteo a conquis le monde, et les US, depuis la France. Donc oui c’est possible. L’entrepreneuriat a toujours existé et existera toujours, après c’est vrai qu’en ce moment il y a peut-être une euphorie qui finira par retomber, mais ceux qui “l’ont dans le sang” seront toujours là. Un de nos stagiaires Polytechnicien me disait récemment: “à l’école tout le monde veut maintenant aller bosser dans la tech, plus personne ne veut aller chez EDF!”.
L’entrepreneuriat a toujours existé et existera toujours, après c’est vrai qu’en ce moment il y a peut-être une euphorie qui finira par retomber, mais ceux qui “l’ont dans le sang” seront toujours là
Quelle est l’ambiance “entrepreneuriale” à Londres et Barcelone ?
Londres c’est un peu la champions league, c’est hyper compétitif, ils veulent créer des boîtes qui concurrencent les boites US. Ils ont les talents et les moyens. Ils ont une vraie ambition mondiale. Barcelone c’est un cran en dessous, l’eco-système est plus petit, les boîtes à succès se tournent plus naturellement vers l’Amérique Latine (Brésil, Mexique…) que vers les US. La concurrence y est moins féroce, mais il y a des entrepreneurs et des boîtes remarquables (Social Point, OdigeO, Privalia, Idealista…)
Londres c’est un peu la champions league, c’est hyper compétitif
Des conseils pour un français qui voudrait rejoindre Londres ou Barcelone ? Et s’expatrier tout simplement.
Tout d’abord, n’ayez pas peur de tenter l’aventure ! C’est une expérience vraiment enrichissante. Londres et Barcelone ça reste l’Europe, donc culturellement l’adaptation est plutôt simple, et la communauté Française est importante dans les deux villes. Après c’est une question de goût et d’objectif. À Barcelone la maîtrise du Catalan n’est plus vraiment indispensable mais le marché du travail reste limité et trusté par les locaux. On part donc avant tout à Barcelone pour la qualité de vie avec une idée claire au niveau professionnel. Londres offre beaucoup plus d’opportunités professionnelles mais le coût de la vie y est vraiment prohibitif. C’est une ville fantastique pour les jeunes mais personnellement j’ai du mal à m’imaginer vivre là-bas à long terme.
On part avant tout à Barcelone pour la qualité de vie avec une idée claire au niveau professionnel