L’entrepreneuriat n’est pas toujours une vocation, mais peut aussi être un concours de circonstances. Comme ce fut le cas pour Émilie Geoffroy qui a suivi son mari, expatrié à Moscou puis à Kiev. Après sa démission d’une agence de relations publiques en France, et son installation en Russie, Émilie n’a pas trouvé de poste sur place malgré ses nombreuses recherches. La plupart des conjoints d’expats en font souvent l’amère expérience à leur arrivée dans leur pays d’adoption… C’est donc cette étape de vie qui a mené Émilie à créer son agence digitale qui fonctionne à distance et lui permet de travailler avec le monde entier depuis son espace de coworking à Kiev en Ukraine.
Émilie nous en dit plus sur son quotidien d’entrepreneur expat à Moscou et Kiev :
Qui êtes-vous, que faites-vous ?
J’ai 39 ans et je suis expatriée depuis 2012. Auparavant, je vivais à Paris où j’étais consultante dans une agence de relations publiques. J’aimais beaucoup mon entreprise jusqu’où jour où elle a été rachetée. Ce passage a été très difficile et je me suis alors beaucoup posée de questions sur ma carrière. J’avais envie d’évoluer professionnellement mais je ne savais absolument pas vers quelle entreprise ou organisme me tourner. J’avais le sentiment que rien ne me correspondait à ce moment-là. C’est alors que mon mari a eu une proposition de la part de son entreprise pour prendre un poste à Moscou. Je me suis dis que ce départ serait synonyme de nouvelles opportunités pour lui comme pour moi.
Pourquoi la Russie puis l’Ukraine ?
Nous n’avons pas « choisi » ces pays, ce sont plutôt eux qui se sont présentés à nous par le biais d’opportunités pour mon mari.
Qu’est ce qui vous a séduit dans ces pays ?
La Russie est un pays très déroutant et fascinant à la fois. Le premier abord est très rugueux : la langue, les mentalités, le climat, le rythme frénétique de Moscou…
Une fois passée cette barrière, c’est un nouveau monde qui s’ouvre à vous ! Et c’est vraiment cela qui m’a séduit. C’est une culture très différente de la nôtre tout en étant proche par certain côté. Ensuite, la Russie est un pays qui suscite beaucoup d’émotions car nous sommes confrontés à la grandeur passée (Empire tsariste à Saint Pétersbourg et URSS à Moscou) et aux ambitions actuelles. Cela ne laisse personne indifférent.
Ensuite, j’apprécie leur rapport à la culture classique. Le ballet comme l’opéra sont des arts populaires qui s’adressent à toutes les catégories d’âge. Il n’est pas rare de croiser en semaine des enfants accompagnés de leur babouchka assister à une représentation du Lac des Cygnes, de la Flûte enchantée ou à un concerto de Tchaikosky. Il y a un vrai rituel autour de ces sorties. Tout le monde s’apprête du plus petit au plus grand et ils y vont en famille. C’est vraiment un moment important pour eux même s’ils ont vu 40 fois Casse-noisette !
L’apprentissage de la musique, de la danse ou des échecs font encore partie de l’éducation et ceux dès le plus jeune âge. Je retrouve cet aspect également à Kiev car c’est un héritage de l’époque soviétique.
La Russie est un pays qui suscite beaucoup d’émotions
Quelle est votre qualité de vie et que vous manque-t-il de France ?
A Moscou, nous n’étions pas à plaindre mais le niveau de vie était élevé et le coût de la vie bien plus cher qu’à Paris. Il fallait faire très attention aux prix dans les supermarchés du centre de la ville et le demander systématiquement avant d’aller chez un coiffeur, par exemple, car le montant pouvait grimper très très haut !
A Moscou, nous avons vécu au rythme de la ville. C’est-à-dire de façon très intense ! Nous avons voulu profiter de la très grande offre culturelle proposée et de la modernisation de la ville que nous avons vue se transformer sous nos yeux.
Une année à Moscou, c’est deux années à Paris tellement le rythme est soutenu !
A Kiev, le pays connaissant des événements dramatiques depuis 2 ans, le niveau de vie a fortement chuté. Notre situation n’a donc rien de comparable. Nous faisons partie des hyper privilégiés. Nous cherchons plutôt à voir comment nous pouvons aider de manière positive et efficace.
Une année à Moscou, c’est deux années à Paris tellement le rythme est soutenu !
Qu’est-ce qui nous manque de la France ?
Au moment où la Russie a décrété l’embargo sur des produits en provenance d’Europe, j’avoue que nous avons eu de plus en plus de mal à trouver des produits frais avec du goût et à des prix raisonnables. Nous étions terriblement en manque de fromage et de bonne chaire. Comme il était aussi très difficile de sortir de Moscou à cause des embouteillages, j’ai aussi souvent rêvé de me retrouver au milieu du Morvan pour respirer !
L’Ukraine est quant à elle une terre agricole et l’on trouve de tout à Kiev. J’ai même mangé une délicieuse fondue savoyarde dans les Carpates. Donc pas de soucis de ce côté-là !
Vous verriez-vous revenir en France ou aller ailleurs ensuite ? Pourquoi ?
Je me verrais bien partir encore dans un autre pays après l’Ukraine et ensuite, je pense rentrer en France. Je ne pense pas que l’on puisse changer de pays tous les 3 ans pendant 25 ans en gardant la même énergie et la même curiosité. Je pense qu’à un moment donné, il faut savoir rentrer. Par ailleurs, je voudrais que mes enfants connaissent leur pays et y vivent.
Qu’est ce que l’expatriation vous apporte au niveau personnel, et dans le développement de votre entreprise ?
L’expatriation m’a fait grandir ! Elle repousse sans cesse vos limites intellectuelles, sociales, professionnelles. Je ne me serai jamais mise à mon compte si je n’avais pas été expatriée. J’ai compris très vite après mon arrivée en Russie que ce serait la seule solution pour reprendre une activité professionnelle qui me plaise mais le switch pour passer à l’action a été long dans ma tête. J’avais beaucoup de freins et d’idées reçues sur le sujet.
Je ne me serai jamais mise à mon compte si je n’avais pas été expatriée
Comment se déroule votre quotidien ?
Le plus normalement du monde. Après avoir déposé mes enfants à l’école le matin, je me rends à pieds dans mon espace de coworking avec Deezer dans les oreilles.
J’arrive avant 9h00 et je repars vers 18h00. Je cherche mes posts du jour sur Facebook et j’enchaîne les réunions skype avec mes clients. Je travaille sur mes dossiers.
Qu’est ce qui vous a motivé à créer votre business en Russie puis en Ukraine ? Comment s’est passée cette création, avez-vous rencontré des difficultés ?
Lorsque je suis arrivée en Russie, j’ai souhaité chercher un travail tout de suite. Je me suis tournée naturellement vers les sociétés françaises et internationales en épluchant l’annuaire des CCI. Cela a été une véritable douche froide. Il n’y avait très clairement pas de poste pour moi et à en juger par le désarroi de celles qui cherchaient comme moi, il y avait peu d’élues. Très vite, des personnes bienveillantes m’ont conseillé de me mettre à mon compte mais j’avais le sentiment d’en être incapable. Surtout je n’avais pas encore mesuré la place qu’avait pris le travail à distance. Je ne devais pas me focaliser sur le marché local mais penser bien au-delà. J’ai créé mon offre au départ pour les entrepreneurs expatriés comme moi qui souhaitaient communiquer sur le marché français ou auprès de communautés francophones à l’étranger. Mes clients sont au Brésil, aux USA, en Indonésie, en Russie… J’ai parmi mes clients des entrepreneurs en France également. Aujourd’hui l’emplacement géographique a de moins en moins d’importance. Vous pouvez vendre vos services depuis n’importe où à n’importe qui. Mes clients sont comme moi, ils bougent tout le temps !
En conclusion à cette question, je dirai que la plus grosse difficulté à surmonter pour créer mon entreprise à l’étranger a été moi-même et les préjugés que j’avais sur l’entrepreneuriat. Pour m’aider, j’ai eu recours à un accompagnement spécialisé dans l’entrepreneuriat nomade avec une femme extraordinaire, Delphine Boileau-Terrien. J’ai peu bénéficier de ses conseils et aussi de toute la dynamique de groupe qu’elle créé avec ses clientes.
Aujourd’hui l’emplacement géographique a de moins en moins d’importance. Vous pouvez vendre vos services depuis n’importe où à n’importe qui
Les russes et les ukrainiens sont ils des entrepreneurs dans l’âme ?
Dans l’âme, je ne sais pas mais en tous les cas, si Numa a décidé de s’installer à Moscou l’année dernière c’est qu’il y a de bonnes raisons de penser que le développement des start-up y est favorable ! D’ailleurs en ce qui concerne le numérique les Russes ne sont pas en reste. Ils ont la réputation d’être de bons développeurs tout comme les Ukrainiens d’ailleurs. Les russes l’ont montré avec Yandex (leur moteur de recherche), V-Kontact (leur Facebook) ou encore Kapersky (anti-virus). Côté ukrainien, n’oublions pas que l’un des fondateurs de Whatsapp, Jan Koum, est d’origine ukrainienne. Il y a par ailleurs pas mal de développeurs dans les espaces de co-working ici à Kiev.
Quel est le panorama entrepreneurial de l’Ukraine ?
Je n’en ai aucune idée. En faisant quelques recherches, j’ai lu un article mentionnant que parmi les 5000 entreprises qui rencontrent la plus forte croissance en Europe, 20 sont en Ukraine contre 0 l’an passé. Pour voir l’article : http://www.kyivpost.com/article/content/technology/20-ukraine-based-companies-make-it-on-list-of-europes-fastest-growing-private-firms-409168.html
Ce que je sais, c’est qu’il y a un frémissement à l’ouest de l’Ukraine dans la région de Lviv. Des entreprises européennes viennent s’y installer et un parc industriel est en cours de construction. L’avenir nous dira si ce développement va se poursuivre.
Parmi les 5000 entreprises qui rencontrent la plus forte croissance en Europe, 20 sont en Ukraine contre 0 l’an passé
Comment vit-on aujourd’hui à Kiev avec les évènements qui frappent le pays depuis un moment ?
Aujourd’hui, la vie à Kiev est normale. En revanche l’impact de la crise est grand et le niveau de vie des gens a beaucoup baissé.
Vous travaillez dans un espace de coworking, est-ce aussi une tendance à Kiev de “travailler ensemble”, de créer son propre emploi, comme on le voit en France, USA, UK ? Est-ce un phénomène conjoncturel selon vous ? A quoi tient-il ?
Oui c’est une tendance de travailler ensemble à Moscou comme à Kiev.
Le premier espace de coworking a ouvert à Kiev en 2008 et depuis d’autres ont vu le jour même jusqu’à récemment. La plupart affiche complet et j’ai dû en trouver un autre car il n’y avait plus de bureaux disponibles dans le premier que j’avais trouvé.
C’est un phénomène certainement générationnel et conjoncturel. Ici comme ailleurs, il y a une tendance à se mettre à son compte. Le manque d’espace chez soi, le coût d’un loyer de bureau et tous les avantages de travailler dans un espace collaboratif invitent les gens à se retrouver dans ces espaces. Ce sont des lieux où l’on retrouve, comme partout, des espaces de travail et des programmes de formation pour améliorer son business. Il y a un espace de coworking dédié aux startup locales startup Ukraine qui organise des « business camp » chaque année.
Qu’est ce qui attire les autres coworkers expats à Kiev et dans ce coworking ?
Nous ne sommes pas nombreux mais 2 nouveaux coworkers Français viennent de nous rejoindre cette semaine. Ce qui les motive c’est de trouver un espace de travail dédié, hors de chez soi et de ne pas être seul. J’ai autour de moi des profils très différents certains développent un business en local quand d’autres sont comme moi et travaillent totalement à distance souvent parce qu’ils ont suivi leur conjoint. A noter qu’un coworker expat m’a avoué s’être installé à Kiev car la vie y est peu chère et la capitale ukrainienne n’est qu’à deux heures de vol des principales villes européennes où il développe son business.
Un coworker expat m’a avoué s’être installé à Kiev car la vie y est peu chère et la capitale ukrainienne n’est qu’à deux heures de vol des principales villes européennes où il développe son business
Auriez-vous créé votre entreprise en France ? Quels sont vos projets ?
Non je n’aurai jamais créé mon entreprise en France, enfin je ne pense pas !
Aujourd’hui, je suis en train de faire évoluer mes offres afin qu’elles correspondent mieux aux besoins de mes clients. J’espère pourvoir prendre une assistante virtuelle d’ici la fin de l’année et nouer des partenariats stratégiques pour muscler mes offres. J’aime vraiment travailler dans cette atmosphère internationale avec des gens de tout horizon et basés aux 4 coins du globe.
Pour en savoir plus sur moi : www.emiliedigitalagency.com ou retrouvez-moi sur ma page Facebook professionnelle : https://www.facebook.com/emiliedigitalagency/